Birmanie : Qui tire profit des tensions inter-religieuses au Myanmar ?
Durant la présidence d’Obama, les puissances occidentales ont fait pression d’une part pour que les militaires permettent à Aung San Suu Kyi et à son parti de prendre part à la gestion (partielle) de l’État et, d’autre part, elles ont poussé à libéraliser l’économie du Myanmar. Le Myanmar s’était en effet maintenu plus ou moins en vase clos durant la dictature militaire, bien qu’il y ait eu quelques exceptions comme celles de Total ou Chevron qui exploitent le pétrole du pays depuis des années. Suite à ces pressions, les militaires au pouvoir ont fini par lâcher du lest. Le LND a gagné les élections et elle est devenue chef du gouvernement.
Les militaires restent néanmoins très puissants. Ils conservent 25 % des sièges de députés et détiennent encore trois ministères clés : l’Intérieur, la Défense et les Frontières. Ces bouleversements ont engendré de grandes réformes, notamment une nouvelle loi sur les investissements extérieurs. Celle-ci a été votée en 2012.
Elle a marqué un tournant radical dans l’économie du pays mais aussi, et ce n’est pas un hasard, dans le regain des violences dans le pays. Cette loi permet aux entreprises multinationales d’investir dans le pays bien plus facilement qu’auparavant. Elles peuvent entre autres acquérir d’immenses concessions minières ou de terres agricoles.
Plus d’1 200 000 d’hectares ont ainsi été alloués récemment à l’agro-business dans l’État du Rakhine. Avec la complicité de fonctionnaires ou de militaires corrompus, des milliers de paysans, tant rohingyas que bouddhistes, se sont vus accaparer leurs petits lopins de terre. Beaucoup ont été poussés à l’exil et se sont retrouvés dans des camps de déplacés aux conditions de vies très précaires.
Selon l’ONU, avant la vague de violence actuelle, on comptait depuis 2012 déjà 140 000 déplacés Rohingyas dans les pays voisins, et 120 000 qui s’entassaient dans des camps dans le Rakhine, victimes collatérales de « l’ouverture économique » décrétée récemment.
D’autre part, coincées entre les deux plus grands pays les plus peuplés du monde, la Chine et l’Inde, les ressources naturelles du Myanmar sont stratégiques. Elles suscitent la convoitise de ses voisins, mais pas seulement. En effet, le pays a de quoi faire saliver les grosses multinationales occidentales car il figure parmi les cinq plus grandes nations du monde en termes de réserves, prouvées, de gaz et de pétrole.
Qui plus est, les puissances occidentales voient d’un mauvais œil les bonnes relations que le Myanmar entretient avec la Chine. Les États-Unis sont vexés qu’Aung San Suu Kyi ait décliné une visite diplomatique à Washington alors qu’elle s’est déjà rendue à deux reprises à Pékin pour renforcer les liens entre les deux pays. La Chine a d’ailleurs tout intérêt à être en bons termes avec le Myanmar car elle y investit des sommes considérables.
Après avoir construit un gazoduc à travers le pays en 2014, elle envisage de construire un port en eau profonde dans l’État de Rakhine, le Kyauk kyu port, pour une valeur de 7,3 milliards de dollars. Çà lui donnerait un accès privilégié vers l’Océan indien et lui permettrait de sortir de la stratégie d’enclavement que les États-Unis veulent lui imposer.
Les habitants du Rakhine se retrouvent pris bien malgré eux au carrefour d’importants intérêts géostratégiques qui les dépassent largement. Les petits paysans, tant rohingyas que bouddhistes, sont victimes des appétits voraces des grandes multinationales qui les poussent à quitter leurs terres.
Ibrahim Kalil Diallo pour Journal Guinée
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