L’Angola, un marché pour les entreprises françaises de l’électricité ?

L’Angola, un marché pour les entreprises françaises de l’électricité ?

Ils sont une dizaine à avoir fait le déplacement mi-mars à Luanda. Représentants de PME ou de grands groupes, connaisseurs de l’Afrique ou novices, ce sont tous des acteurs français du secteur de l’électricité à la recherche de nouveaux marchés. Ils ont participé à une mission organisée par le bureau angolais de Business France, l’agence du ministère de l’économie français qui encourage le développement des entreprises à l’international, anciennement Ubi-France. Pendant trois jours, ces chefs d’entreprise ont appris à connaître l’Angola. Ils ont surtout enchaîné les rendez-vous avec les acteurs publics et privés de l’énergie dans le pays. De l’avis de tous, le marché angolais a de quoi faire rêver. Sauf que le ticket d’entrée n’est pas donné et que la concurrence est déjà vive.

« Si en France tout est figé, ici tout est à faire », s’exclame l’un des participants, résumant le sentiment général. Sorti dévasté d’une violente guerre civile en 2002, l’Angola est en pleine reconstruction depuis une décennie grâce à son pétrole. Mais aujourd’hui, seul un tiers de sa population a accès à l’électricité sur un territoire grand comme deux fois et demie la France et peuplé de 24 millions d’habitants. D’ici à 2025, le gouvernement veut faire doubler ce taux d’électrification pour le faire passer à 60 %. Il a donc fait de l’énergie l’un des axes majeurs de son plan de développement 2013-2017. Sur cette période, il a prévu de construire sept centrales thermiques à Luanda, douze en province et 2500 kilomètres de lignes électriques avec leurs sous-stations associées. Au total, ce sont près de 23 milliards de dollars d’investissements qui doivent être réalisés : 12 milliards ayant déjà été sécurisés, il en reste 11 à trouver auprès de partenaires et futurs investisseurs.

Un marché prometteur

Tous ces projets doivent permettre à l’Angola de multiplier par deux sa production d’électricité afin de répondre à la hausse annuelle de la demande de 12 %. « Notre capacité de production, d’environ 2 162 mégawatts (MW) installés, doit plus que doubler pour atteindre 5 000 MW », a souligné fin 2014 le ministre de l’énergie et de l’eau João Baptista Borges. Pour ce faire, l’exécutif angolais compte exploiter au maximum la richesse hydrique du pays, à commencer par le fleuve Kwanza, qui a donné son nom à la monnaie nationale. « Ce cours d’eau a un potentiel extraordinaire, explique un fonctionnaire du ministère. C’est sur lui que nous voulons bâtir le futur du pays. » Ainsi, les sites de Cambambe (960 MW) et Capanda (520 MW), qui alimentent la capitale angolaise, ont été rénovés pour augmenter leur capacité. Plus en amont, à Lauca, un barrage d’une capacité de 2 060 MW doit voir le jour en 2018 suivi d’un autre, d’une capacité de 2 050 MW, à Caculo Cabaça.

Et ce n’est pas tout : il y a la construction d’une première centrale combinée à Soyo dans le nord du pays afin d’utiliser le gaz associé à la production pétrolière, l’électrification des campagnes, l’édification d’un système national haute tension et l’interconnexion avec les réseaux voisins de la Namibie et de la République démocratique du Congo.

« Toutes les conditions sont réunies pour que le marché soit extrêmement intéressant pour nous », affirme Marie Chapalain, responsable export de Sogexi, une entreprise d’une cinquantaine de personnes spécialisée dans l’éclairage public. « Le pays a des problèmes de fourniture d’électricité et nous sommes positionnés sur le créneau des économies d’énergie. C’est le moment de se faire connaître et d’exposer nos solutions, ajoute-t-elle. De cette façon, nous serons déjà sur place et identifiés lorsque les affaires décolleront. »

A plus court terme, certaines entreprises espèrent bien pouvoir décrocher des contrats. « Nous devons nous rapprocher des sociétés portugaises et brésiliennes qui sont déjà bien implantées et connaissent parfaitement les rouages économiques et politiques, explique Pierre Girin, responsable commercial d’Augier, un fabricant de matériel électrique spécialisé. Lorsqu’elles remportent un appel d’offres, nous travaillons comme sous-traitant sur la partie qui correspond à notre savoir-faire. »

Dans un environnement très concurrentiel, les acteurs français ont plusieurs atouts à faire valoir : la qualité des produits et des services proposés, la possibilité de solutions clés en mains de leur conception à leur réalisation, un sérieux transfert de compétences avec les équipes angolaises. « Les Chinois sévissent depuis des années sur le continent africain, avance Marie Chapalain. A terme, nous allons en bénéficier et finir par être choisis pour nos projets adaptés aux besoins et de qualité. »

Les entrepreneurs français peuvent aussi compter sur un contexte diplomatique plus favorable que par le passé. Après le coup de froid dû à l’Angolagate, les relations se sont réchauffées. Initiée par Nicolas Sarkozy en 2008, cette amélioration a continué avec la venue à Luanda de Laurent Fabius en 2013 puis la visite de José Eduardo dos Santos en France en 2014. On s’attend à ce que François Hollande rende la pareille assez rapidement. En outre, le groupe français Total demeure le premier opérateur pétrolier en Angola, assurant un tiers de la production du pays, ce qui en fait le meilleur promoteur d’un renforcement des relations bilatérales. Dans les milieux diplomatiques, on se veut optimiste. « L’an dernier, une entreprise sur deux a signé un contrat avec un partenaire angolais dans les six mois ayant suivi la mission économique, se félicite Xavier Chatte-Ruols, le directeur de Business France en Angola. Nous sommes en retrait sur les contrats publics mais nous nous défendons bien sur les négociations avec le secteur privé. »

Un pays en crise mais parmi les plus chers d’Afrique

Malgré tout, la partie est loin d’être gagnée, cela d’abord en raison du contexte économique. Avec la chute du prix du pétrole, l’Angola est en crise. Le pays a dû diminuer son budget d’un quart et réduire ses investissements de 45 %. « Tous les acteurs privés rencontrés nous ont bien fait comprendre qu’il ne se passerait pas grand-chose cette année, en tout cas pas avant le deuxième semestre. Mais cela n’empêche pas de se préparer pour l’année prochaine », confie Paja Chanemouga, le directeur de Cinphoni, une petite société spécialisée dans le conseil et le développement de projet de production d’énergie. « Le marché existe mais la grande inconnue consiste à savoir si les fonds seront présents et si les projets se feront », résume Pierre Girin, le représentant d’Augier. La chute du cours de l’or noir diminuant le volume de dollars en circulation, le pays est confronté des problèmes de liquidités depuis le début de l’année.

Outre les craintes liées à la conjoncture, le marché angolais soulève d’autres questions. « Comme dans beaucoup de pays africains, il faut accepter de venir, peut-être plusieurs fois, sans rien signer, reconnaît Paja Chanemouga. Les relations sont très importantes, il faut donc trouver le bon trait d’union entre vous et le partenaire local, tout cela prend du temps. » Or, le coût pour venir en Angola est particulièrement élevé, du prix du billet d’avion au logement en passant par la logistique et les services. « C’est la plus chère mission que j’ai jamais faite, c’est deux fois plus cher que pour aller en Afrique subsaharienne, cinq fois plus qu’au Maghreb et vingt fois plus qu’au Portugal », déplore un chef d’entreprise.

Parler le portugais, se familiariser avec l’organisation des entreprises publiques qui gèrent le secteur, être informé en temps et en heure des appels d’offres, sont autant d’autres défis à relever. « Avant de penser à une implantation sur place, il faut aussi étudier la situation sécuritaire, un point sur lequel j’ai été agréablement surpris, mais également la question de la corruption, pointée par de nombreuses organisations internationales, souligne un autre investisseur. Chacun doit répondre à ces questions. Une chose est certaine, il faudra être présent avant le redémarrage pour pouvoir en profiter. »