Reprise économique-les-patrons-commencent-a-y-croire
« Les choses vont un peu mieux. Ça bouge, ça frétille. » Patron d’une PME informatique lyonnaise de 37 salariés, IT Partner, Abdenour Ain Seba résume le sentiment de nombre de chefs d’entreprise en ce printemps 2015. Même Geoffroy Roux de Bézieux, le vice-président du Medef, généralement prudent en la matière, l’admet : « Ce n’est pas encore le printemps de l’économie, mais c’est bien un dégel. »
Invoquée par les politiques, espérée par les patrons, disséquée par les économistes, la reprise, la vraie, serait-elle enfin là ? « Contrairement à ce qui se passait encore fin 2014, et même au premier trimestre 2015, des choses se font, les clients ne reportent plus leurs projets sine die », se réjouit M. Ain Seba.
Les enquêtes mensuelles de conjoncture pour le mois d’avril, publiées jeudi 23 avril par l’Insee, semblent aller dans ce sens. S’il est stable dans le secteur des services, le moral des chefs d’entreprise s’améliore dans l’industrie manufacturière. L’opinion des patrons sur l’industrie en général se situe même à un plus-haut depuis juillet 2011.
Un signal particulièrement encourageant : ce secteur était jusque-là au cœur des inquiétudes. Quant aux capacités de production, elles « se tendent un peu dans l’industrie manufacturière », reflet d’un retour progressif à la normale après des années de crise. Et suite logique du rebond de la consommation observé depuis la fin 2014.
Le moral des consommateurs clients de la grande distribution, où les prix ont été sévèrement tirés vers le bas depuis trois ans, a ainsi atteint en mars son meilleur niveau depuis fin 2011, selon l’institut Kantar Worldpanel.
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Contexte favorable
« Jamais, depuis le début de la crise des subprimes [en 2007], l’économie française n’avait connu un contexte aussi favorable à l’enclenchement d’une reprise », s’enthousiasment les économistes de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
Cette bouffée d’oxygène, l’économie française la doit à un triptyque inédit : la baisse de l’euro, qui avantage les entreprises exportatrices, le recul du prix du baril de pétrole, qui redonne du pouvoir d’achat aux ménages et aux entreprises, et la baisse des taux d’intérêt, impulsée par la Banque centrale européenne (BCE). « Le choc de demande que nous réclamions par des politiques économiques nationales est finalement venu de facteurs externes », résume Eric Heyer, économiste à l’OFCE.
Dans ce contexte, les politiques du gouvernement ont joué un rôle d’accélérateur. Le CICE – un crédit d’impôt sur les bas salaires – et les allégements de charges prévus par le pacte de responsabilité « représentent un transfert fiscal vers les entreprises de 23 milliards d’euros en 2015 et de 33 milliards en 2016 », indiquent les économistes de l’OFCE. Un appel d’air bienvenu, à même d’enclencher un rebond des marges des entreprises : selon l’Insee, elles devraient dépasser 31 % au premier semestre 2015, contre 29,7 % mi-2013.
Guillaume Richard en sait quelque chose. Pour ce quadragénaire, fondateur du groupe de services O2 (ménage, repassage…), « le CICE nous a permis de ne pas augmenter nos tarifs, c’est-à-dire d’être plus compétitifs par rapport au travail au noir, et d’améliorer la formation de nos salariés ».
Mais pour l’heure, le cercle vertueux s’arrête là pour de nombreux chefs d’entreprise. L’investissement, condition d’une reprise durable et de qualité, et les embauches, objectif ultime des politiques économiques gouvernementales, manquent encore à l’appel.
« Le CICE, c’est bien, mais ce n’est pas le sujet central pour moi. Ce qui freine les embauches dans les PME, c’est la faiblesse du carnet de commandes ! », martèle M. Ain Seba. Lui se félicite de voir « le business redémarre[r] » et recrute actuellement trois collaborateurs, commerciaux et consultants.
« Décalage »
Mais tous ne sont pas dans son cas. « Seules les entreprises exportatrices bénéficient de la chute de la monnaie unique, pas l’essentiel du tissu de PME franco-françaises », souligne François Asselin, à la tête de l’organisation patronale CGPME.
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Les ETI (entreprises de taille intermédiaire) non plus n’en voient pas toujours l’intérêt. « Mon principal concurrent est allemand, la baisse de l’euro n’est pas un avantage pour moi. En revanche, mon pouvoir d’achat pour faire des acquisitions aux Etats-Unis a reculé de 25 % en un an », regrette Hugues Souparis, le PDG d’Hologram Industries (375 salariés), concepteur des bandes de sécurité sur les passeports et autres billets de banque.
« En période de reprise, il est logique de voir un décalage de quelques trimestres entre l’amélioration de la conjoncture et l’investissement des entreprises, assure Xavier Ragot, président de l’OFCE. De plus, de nombreux patrons ont été échaudés par les investissements consentis en 2010-2011. » Soit juste avant que la crise des dettes souveraines en Europe et la multiplication des politiques d’austérité ne viennent tuer dans l’œuf la reprise naissante…
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Le bâtiment demeure sinistré
Le rebond reste donc fragile. Témoin, les défaillances d’entreprises. Sur les douze mois achevés à fin mars 2015, elles ont encore grimpé de 0,5 %, pour atteindre 63 754 défaillances, selon les derniers chiffres d’Euler Hermès.
« C’est davantage qu’au moment du pic de 2009 [62 714 défaillances] ! La hausse ralentit, mais les entreprises ont toujours du mal à engranger les fruits de la croissance, trop limitée », déplore Maxime Lemerle, responsable des études chez Euler Hermès.
Le bâtiment, en particulier, demeure sinistré : un quart des entreprises qui passent devant le tribunal de commerce proviennent de ce secteur, alors qu’il ne pèse que 7 % du PIB français. A l’inverse, le commerce ou les services aux entreprises (conseil juridique, comptabilité…) voient leur situation s’améliorer. « C’est un bon signal quant à la capacité des entreprises à avoir de nouveau recours à ces services », selon M. Andrès.
Pour l’OFCE, « l’accélération de l’investissement devrait intervenir à partir de la fin 2015 et surtout en 2016 ». La fameuse inflexion de la courbe du chômage devrait suivre. Mais, attention, retour de la croissance ne rimera pas avec fin du chômage de masse : ce dernier devrait passer de 10 % à fin 2014 à 9,5 % fin 2016.
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