Après cette 25ème COP (Conference of Parties ou Sommet sur le Climat de l’ONU) qui a lieu à Madrid en novembre dernier, les gouvernements n’ont, une fois de plus, pas été à la hauteur des défis planétaires auxquels nous devons faire face. Devant l’ampleur des dégâts causés aux écosystèmes, la survie de l’humanité est en jeu. Le changement mondial à effectuer pour nous assurer un futur, tout simplement, ne concerne pas seulement le réchauffement climatique mais notre relation avec l’environnement dans tous les domaines de l’activité humaine. S’éteindre ou changer, il va falloir choisir.
Selon les calculs de l’ONG Global FootPrint Network, les capacités de renouvellement de la Terre ont été dépassées en 2019 le 29 juillet. Depuis cette date et jusqu’à la fin de l’année 2019, tout ce que nous avons prélevé sur la planète s’est fait sans qu’aucun renouvellement des ressources naturelles prélevées ne soit possible. Car trop, c’est trop. Tout poisson, tout arbre, toute ressource renouvelable prélevée ne pourront pas être remplacés par le renouvellement naturel normalement permis par les écosystèmes à condition de leur laisser le temps de le faire. Car une restauration des écosystèmes est encore possible à condition de ne pas les détruite à nouveau avant qu’ils ne se reconstituent de façon naturelle.
Mais l’activité humaine s’accélère à n’en plus finir, s’activant comme elle le peut pour assouvir ses désirs matériels qui semblent insatiables. Les humains ponctionnent à outrance les richesses que la Terre lui fournit « gratuitement » sans lui laisser le temps de les remplacer. Nous n’osons même pas toucher à la question des ressources non-renouvelables qui sont vouées à s’épuiser à moyen terme. Est-ce que cela peut durer encore longtemps comme cela ? À force de trop se tendre, l’élastique claque, ce qu’une économie folle, aveugle et avide, ne saurait comprendre et entrevoir dans sa vision court-termiste ? À côté des discours catastrophistes sur notre futur, d’autres sont confiants. Ils attendent sereinement, grâce à leur foi en l’innovation, que la science et la technique résolvent tous les problèmes du monde. Une croyance qui commence à s’effriter dangereusement. Car pendant ce temps, la productivité emporte tout froidement sur son passage.
Une population et des industriels voraces
Sept milliards sept cents millions d’êtres humains vivent sur Terre. Ce nombre a bien sûr un impact très important sur l’aspect destructeur de l’humanité vis-à-vis de son environnement. Si nous n’étions que 3,7 milliards comme en 1970, la date de dépassement serait plus raisonnablement proche de la fin de l’année et le devenir de l’humanité ne serait pas en jeu. Plus cette population mondiale est élevée, plus elle exerce à comportement égal une pression importante sur les écosystèmes et la biosphère dans son ensemble. Par contre, à nombre égal, le comportement de l’homme a une influence importante sur la biosphère de par l’intensité, forte ou faible, et même voire nulle de son impact écologique (ainsi les Todas en Inde, qui vivent dans les Montagneux bleues et ont un impact écologique nul sur leur environnement). Se limiter à percevoir le nombre d’habitants sur terre est donc une erreur de raisonnement fondamentale, sauf si on suppute que le mode de vie occidental est la seule alternative possible pour rendre l’humain heureux et libre. Ainsi, bien qu’à 7,7 milliards d’habitants, et même davantage chaque jour (225 000 de Terriens par jour en plus), il est possible de changer nos sociétés pour faire baisser notre impact écologique sur les écosystèmes et donc les préserver, voire les restaurer. C’est d’autant plus vrai qu’une large part de l’impact écologique est liée aux productions, moins à la vie elle même.
Le constat est clair cependant, une seule planète Terre n’est plus suffisante pour répondre aux désirs matériels des humains. D’après les calculs de l’ONG Global FootPrint Network, l’humanité vit comme si nous avions 1,75 Terre. Ce chiffre est de 0.7 pour les Indiens contre 5 planètes pour un américain moyen et de 2,8 pour les Européens. Si tous les Chinois et les Indiens vivaient comme les Américains, la Terre serait épuisée, d’après ces mêmes données, en moins de six mois. C’est pourtant leur mode de vie qui fait rêver l’Asie. Pour les partisans de l’innovation sans fin, l’humanité trouvera toutes les ressources nécessaires sur d’autres planètes. Ce mythe grossier est totalement déconnecté de l’urgence de la situation. En l’état actuel des choses, il faut des mois pour faire l’aller-retour sur Mars à des coûts invraisemblables pour ramener quelques échantillons dans un but scientifique. La simple idée d’envisager de l’extraction minière dans l’espace est à ce jour farfelue, d’autant plus que ces matières n’ont pas pour but de faire vivre l’humanité, tout au juste son économie. Pourquoi l’idée de quitter un si beau navire que la Terre pour s’exiler sur une planète désertique et inhospitalière nous semble-t-elle si séduisante ? Peut-être car elle correspond à un certain mythe du progrès qu’on nous vend depuis les années 60. Aucune des grandes projections techno-optimistes sur l’avenir ne s’est pourtant révélée vraie…
Une planète en fin de course
La Planète a vraiment été surexploitée à partir de l’année 1971. Avant cette date, l’activité humaine était encore supportable. On considère que le premier jour du dépassement fut donc celui du 24 décembre 1971. C’est l’année de la sortie du rapport du Club de Rome, « Halte à la croissance » produit par le Massachussets Institute of Technology (MIT). Pour la première fois, une étude systémique sur notre futur est réalisée en prenant en compte la population mondiale, la production manufacturée, les ressources renouvelables et non renouvelables et la pollution.
Son constat est clair : notre mode de vie occidental, basé sur la consommation et la croissance, n’est pas viable car la planète est finie (limitée). Elle est limitée dans le temps et l’espace et ne saurait supporter une croissance infinie comme le suppose et le propose l’économie dominante. En termes simples, nous buvons de plus en plus vite un verre d’eau avec l’illusion qu’il sera plein à jamais. Voilà quarante-six ans pourtant que rien n’a changé. Au contraire, la force de l’humanité ne fait que s’accroître et la planète est entrée dans la période de l’anthropocène. Les gouvernements continuent de miser sur l’idée d’une relance de la croissance, de l’activité et des emplois. Les humains sont devenus la première force de changement géologique sur Terre. Ils modèlent la vie et l’histoire de la planète au même titre que les grandes forces biogéochimiques qui l’avaient façonnée jusqu’à maintenant.
Depuis ce 24 décembre 1971, le jour du dépassement des ressources planétaires se rapproche, d’année en année, du début de l’année du fait d’un prélèvement sans cesse accru des ressources planétaires. En 2000, elle avait lieu le 25 septembre, en 2006, le 24 août, et en 2019, le 29 juillet. 2020 est en bonne course pour battre un record historique. Une extrapolation du graphe de l’évolution de la date du jour de dépassement au cours du temps (voir graphique ci-dessous) indique que le 1 janvier 2091, les richesses que la Terre nous fournit seront déjà épuisées au premier jour de l’année. Cette évolution de la date du jour du dépassement de la Terre prévoit une fin possible de notre civilisation pour la fin du XXIème siècle, avec un effondrement graduel marqué par des évènements catalyseurs (guerres, catastrophes, épuisement d’une ressource,..).
Évolution du jour de dépassement des capacités de renouvellement de la Terre depuis 1971. Projection linéaire et prévision de la destruction totale des capacités de renouvellement de la Terre.
Cette projection théorique présuppose naturellement que notre modèle productiviste n’évolue pas – comme c’est le cas depuis 40 ans en dépit des grands discours écologistes – et que les capacités de dépassement de renouvellement de la terre gardent une relation linéaire dans le temps, ce qui est loin d’être vrai vue la dynamique complexe du vivant et des écosystèmes. Les systèmes complexes, très solides dans leur état stable, peuvent s’effondrer très rapidement comme un château de carte, lorsque de multiples perturbations les éloignent de cette stabilité. Il est alors possible, voire très probable, que des effondrements importants des écosystèmes aient lieu bien avant cette date supposée de 2090.
De plus, la population mondiale devrait continuer de croître pour atteindre les 9,5 milliards d’habitants en 2050. La pression sur l’environnement sera d’autant plus grande que le mode de vie américain reste l’exemple à suivre de la mondialisation. À ce titre, selon les projections, il n’y aura pratiquement plus de poissons comestibles dans les océans à l’horizon 2050. De plus, les oiseaux et les insectes sont aussi en bonne voie d’extinction sans véritablement que les acteurs responsables ne s’en inquiètent. Si nous continuons sur notre lancée actuelle, les dégradations faites à l’environnement s’accentueront inévitablement (déforestation, infertilité des sols par une agriculture intensive, incendie, désertification, pollutions chimique et plastique), les pollutions s’accroîtront encore, et les nombres d’espèces végétales, animales diminueront, nous faisant vivre les pires moments des grandes extinctions massives de la Planète. La dernière en date a eu lieu il y a 70 millions d’années laquelle inaugure la fin des dinosaures. Elle a été causée par la chute d’un astéroïde. Aujourd’hui, l’activité humaine est la seule cause de cette hécatombe généralisée. Avec entre 5000 à 25 000 espèces qui disparaissent par an, le taux d’extinction actuelle est de 100 à 1000 fois supérieur aux taux des précédentes extinctions géologiques [1]. La dernière étude publiée le 6 mai 2019 par la Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) annonce qu’un million d’espèces animales et végétales sont menacées à court terme.
Si le rythme d’évolution du jour de dépassement pris depuis 1971 ne change pas, le 1er janvier 2091, il n’y aura rien qui puisse sauver l’humanité. Mais, prendre en compte la façon dont on vivait il y a 30 ans ou 40 ans a-t-il du sens alors que des changements ont déjà eu lieu dans notre façon de vivre ? Non. Alors, prenons le rythme d’évolution de la date jour de dépassement depuis 2009, juste après la crise de 2007, à aujourd’hui, et extrapolons la droite linéaire vers ce futur incertain :
Évolution du jour de dépassement des capacités de renouvellement de la Terre depuis 2009. Projection linéaire et prévision de la destruction totale des capacités de renouvellement de la Terre.
La date de la fin des ressources planétaires est alors repoussée de 30 ans environ pour arriver au début de l’année 2120 (rappel : l’effondrement se produit graduellement en cascades. Cette date est une moyenne symbolique). Nous voilà prévenus.
« Quand le dernier arbre sera abattu, la dernière rivière empoisonnée, le dernier poisson capturé, alors seulement vous vous apercevrez que l’argent ne se mange pas. »
Une civilisation en voie de disparition ?
Les effondrements [2] de notre civilisation et des écosystèmes auraient lieu bien des années avant l’année 2120, toujours dans l’hypothèse que les calculs de Global FootPrint Network reposent sur l’hypothèse que rien ne change dans la dynamique de croissance de l’économie et de la consommation. Ce qui ne dépend que de nous désormais. Si cela s’avère le cas, la destruction de la biosphère telle que nous la connaissons risque de se produire bien plus tôt que beaucoup ne le pensent. Les avertisseurs de danger sont allumés de toute part aujourd’hui même, des micro-éco-systèmes s’effondrent en ce moment. Mais les discours alarmants sont-ils à la hauteur de ce qui se passe réellement ?
Espérons que cette simple projection des tendances actuelles vis-à-vis de nos comportements nous fasse prendre conscience de l’urgence de la situation. Car, à n’en pas douter, une partie de la population et des décideurs nient toujours la perspective d’effondrement. Et pourtant, les enfants qui naissent aujourd’hui ont toutes les chances d’hériter d’une réalité dramatiquement différente de la nôtre. Aucun avenir décent ne leur est proposé dans ce schéma économico-centré [3], sauf si un changement radical dans notre relation à la Planète advenait à tous les échelons de la société. Changement drastique également, et nécessaire, des relations entre les humains vers plus de fraternité, de coopération et de partage. Mais ce changement positif général auquel on aspire n’est-il pas déjà un peu en cours ?
Peu de temps pour s’en sortir
Nous partageons tous l’espoir que les choses soient encore réversibles, car de nombreuses solutions existent déjà pour vivre dans un monde en harmonie avec l’environnement où que nous vivions sur la planète. Comme l’écrit Edgar Morin [4], quand tout semble perdu, l’impossible est parfois possible. Et l’abîme peut être évité à condition, bien sûr, de changer de cap d’urgence comme ce fut le cas en temps de guerre où nos pays transformaient leur économie et industrie du jour au lendemain au nom de la survie collective. Comme le rappelle Lester R. Brown [5], c’est ce qu’a fait Franklin Delano Roosevelt en décembre 1941 suite à Pearl Harbour. Ceci implique donc des décisions politiques fortes et courageuses. Car à ce stade de l’effondrement, inciter simplement les consommateurs à « mieux acheter » ne nous sauvera plus. Même s’il est nécessaire de changer au niveau individuel, l’industrie se frotte les mains de voir qu’aucun gouvernement, ou très timidement, n’ose questionner l’appareil productif.
Mr Mondialisation