Jacques Foccart, l’homme de l’ombre, à la lumière de ses archives

Jacques Foccart, l’homme de l’ombre, à la lumière de ses archives

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Jacques Foccart, lors d’une partie de chasse à Rambouillet, le 31 octobre 1968.Archives nationales

La réputation de mystère qui a entouré Jacques Foccart, le « Monsieur Afrique » des présidents de Gaulle et Pompidou, a longtemps laissé croire qu’il ne laisserait d’autres traces de son action que les longs entretiens accordés sur la fin de sa vie. Mais Jacques Foccart a été de 1960 à 74 à la tête d’une administration, le secrétariat général pour les Affaires africaines et malgaches, qui a conservé de nombreuses traces de ses activités, de ses contacts… Des archives qui jettent une lumière nouvelle sur cet homme de l’ombre. A l’occasion de la publication de l’inventaire du « fonds Foccart », les Archives nationales organisent deux journées d’études ces 26 et 27 mars.

Pierrefitte, en banlieue parisienne. Archives nationales, dans le dédale des magasins. Une main. Un badge, puis une courte sonnerie. Dans un grincement, la porte automatique du magasin 501 s’ouvre sur l’un des lieux où dorment les secrets de la République. Le fonds Foccart. 400 mètres linéaires de boîtes à archives Cauchard, disposés sur des « épis » métalliques mobiles.

Jean-Pierre Bat, le conservateur du fonds, fait glisser les épis et se dirige vers l’une des étagères « Prenons par exemple un objet un peu original dans le fonds, le fichier dit ‘fichier vert’, c’est-à-dire des boîtes avec des petits fermoirs comme on voit dans les films policiers. Des boîtes qui conservent toutes les fiches de correspondance adressées à Jacques Foccart avec le nom du correspondant, l’objet de leur requête et naturellement la date. »

Il enlève la sangle qui ferme la boîte et ouvre le fichier. « On trouve aussi bien des lettres de recommandation de personnes habitant en Afrique que des demandes de promotion de légion d’honneur –naturellement camouflées- ou bien tout simplement des propositions de coup d’Etat… Ça n’apparaît pas directement, mais en fouillant dans les archives on le découvre… »

 

Jean-Pierre Bat, au milieu du fonds Foccart.RFI/Laurent Correau

Jean-Pierre Bat cherche un exemple. Se dirige vers un autre épis, une autre boîte. Se souvient d’un rapport proposant un projet de retour de Fulbert Youlou, le président congolais : « Le texte, raconte Jean-Pierre Bat, propose en premier lieu une action psychologique, c’est-à-dire travailler la popularité de Youlou auprès des Congolais. Deuxièmement, un mode opératoire, c’est-à-dire préparer un calendrier de retour de Fulbert Youlou de manière plus concrète. » La proposition vient d’un agent des services secrets français, à qui il est demandé de prendre sur sa responsabilité individuelle l’initiative de cette opération. Jacques Foccart lui délivrera un « feu orange ». Une sorte d’accord implicite. A charge pour l’agent du SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage) et son équipe de ne pas se faire prendre. Le coup d’Etat n’aura finalement pas lieu.

Communauté française

Jacques Foccart… Ces centaines de mètres d’archives dessinent le portrait d’un homme, de ses méthodes, de son équipe. Elles jettent une toute nouvelle lumière sur les circuits empruntés pour faire la politique africaine de la France.

L’histoire commence après la Seconde Guerre mondiale lors de la création du RPF à la fin des années 40. Jacques Foccart a été résistant. Il est nommé responsable des Affaires africaines pour l’organisation gaulliste. Lorsqu’en mai 1958 de Gaulle accède au pouvoir, il amène avec lui à Matignon puis à l’Elysée Jacques Foccart comme Monsieur Afrique. C’est un collaborateur en qui il a une grande confiance. Sa première mission sera de transformer la nature juridique des liens entre la métropole à ses colonies. Ce sera le projet de Communauté.

Ce projet, qui sera intégré à la nouvelle constitution nous ramène à Brazzaville, le 24 août 1958. Un mois environ avant le référendum, de Gaulle explique à la foule ce que seront, sous la nouvelle constitution, les relations entre la métropole et ses anciennes colonies. « Ce qui est proposé, c’est que la métropole et les territoires forment ensemble une communauté dans laquelle, je le répète, chacun aura le gouvernement libre et entier de lui-même. »

Le gouvernement libre et entier de l’Afrique par elle-même n’est pourtant pas la seule préoccupation des responsables français à l’époque. « Le rôle de Foccart est de réussir la décolonisation de l’Afrique, explique Jean-Pierre Bat. Il s’agit de conserver une influence française dans les anciennes colonies. Deux options sont à l’étude : soit la balkanisation (chaque colonie devient un Etat indépendant), soit au contraire un regroupement de plusieurs territoires coloniaux au sein d’un Etat fédéral. Foccart préfère la balkanisation parce que ça lui permet de créer autant de sas sécurisés et directs avec Paris pour autant d’Etats. » Le Monsieur Afrique va pousser pour cette option auprès de de Gaulle et de Félix Houphouët Boigny (le président ivoirien). Il obtient gain de cause.

Quelques années avant sa mort, dans une interview à RFI, Jacques Foccart avait cherché à s’expliquer sur les raisons pour lesquelles il avait écarté l’idée des fédérations : « On pensait que les ensembles trop importants, trop gros étaient en réalité plus fragiles… C’est étonnant, mais c’était notre analyse… Les regroupements étaient très difficiles, parce qu’il y avait des inimitiés ethniques et… quand on voit sur place ce que ça représente, les hostilités de telle ou telle population, on s’aperçoit que ça n’est pas possible… »

L’Afrique présidentielle

Le « Oui » l’emporte au référendum de 1958 dans la plupart des anciennes colonies. Les gaullistes décident que l’Afrique de la communauté française, puis celle des nouveaux Etats indépendants ne suivront pas les circuits diplomatiques classiques. Les relations avec les pays concernés seront gérées directement au niveau de la présidence française. Jean-Pierre Bat poursuit son récit : « L’idée de Foccart (il l’écrit dans une note) c’est que l’Afrique n’est plus la France mais pas tout à fait l’étranger. En d’autres termes c’est un espace entre les deux, un espace francophone. Pour que fonctionne cet ensemble, ce n’est plus à l’échelon ministériel que doit être menée la politique, mais directement, à la main droite de de Gaulle à l’Elysée, au sein de la cellule Afrique que dirige Jacques Foccart… »

La note qui fera jurisprudence, celle qui fondera l’autorité de Jacques Foccart est conservée dans le fonds. Elle est datée du 9 mai 1960, signée de la main de de Gaulle. Un petit format titré « Note pour M.Foccart » : le général y arbitre un conflit de périmètre entre son conseiller et un responsable ministériel, Jean Foyer, le secrétaire d’Etat aux Relations avec la communauté. Il en ressort que les affaires africaines se traitent à l’Elysée et pas dans les ministères. Pendant quatorze ans, plus aucun ministre n’osera affronter l’autorité de Jacques Foccart au risque de se voir remis en cause par le général de Gaulle. Cette forte proximité de de Gaulle et de Foccart dans la gestion des affaires africaines aura d’ailleurs une traduction concrète. Un rendez-vous quotidien de quinze à trente minutes au cours duquel le président passe en revue avec son conseiller les affaires africaines et malgaches.

Secrétaire général pour les affaires africaines et malgaches

Principal conseiller du général de Gaulle sur la politique africaine, Foccart est entouré d’une équipe importante de collaborateurs qui est longtemps restée dans l’ombre et que le fonds Foccart des Archives nationales permet de mieux cerner. Des collaborateurs regroupés à l’hôtel de Noirmoutier. « Le secrétariat général de la communauté, qui deviendra secrétariat des affaires africaines et malgaches en 1961 est installé à l’hôtel de Noirmoutier, rue de Grenelle. Il a son parc automobile, son protocole, son système de réception. Le 14 juillet franco-africain est anticipé dans les jardins de Noirmoutier. On sait que c’est là qu’on va solliciter Jacques Foccart. Et à la haute époque en 1960, c’est 100 agents qui relèvent de l’autorité du secrétaire général… » Cette administration va nourrir les analyses de Foccart sur ce qui se passe en Afrique. C’est en partie grâce à son activité que celui-ci prépare l’entretien quotidien de 19h00 avec de Gaulle. Il reçoit des notes de différents chargés de mission, synthétisées par son conseiller technique et qui permettent de produire un document de travail pour l’entretien avec le président.

Signe supplémentaire de la mainmise de Jacques Foccart sur la politique africaine de la France, son secrétariat général centralise tout ce qui est produit par les administrations françaises sur le sujet. Dans un même dossier, on pourra trouver les bulletins du SDECE, le Service de documentation extérieure et de contre-espionnage, ceux du 2e Bureau, les télégrammes diplomatiques, les rapports faits en administration centrale à Paris, les rapports des missions d’aide et de coopération et parfois même les correspondances manuscrites personnelles que les ambassadeurs envoient en marge des dépêches diplomatiques directement à Foccart…

« Réseaux Foccart »

Parallèlement à ces collaborateurs officiels, Jacques Foccart s’appuie sur un réseau plus secret, jusqu’à la limite de la légalité républicaine. Et notamment ce que Foccart lui-même appellera des « circuits courts ». Il place auprès de certains chefs d’Etat amis de la France des collaborateurs qui deviennent leurs conseillers politiques et doivent faire la navette entre Paris et le continent.

Le plus influent de ces ambassadeurs de l’ombre sera probablement Jean Mauricheau-Beaupré, ancien résistant, activiste à la veille de la prise de pouvoir du général de Gaulle et qui se recycle dans les actions de renseignement au bénéfice de Foccart. Il est envoyé auprès de l’abbé Youlou à Brazzaville entre 1960 et 1963. Et il trouvera un nom pour cette méthode du circuit court : « la petite équipe ». Ces réseaux sont officieux, mais ils sont parfois couverts par des contrats de coopération sollicités par des chefs d’Etat africains.

Le premier président de Côte d’Ivoire Félix Houphouët-Boigny en 1960.AFP

Car au cœur de ce réseau Foccart figure un homme qui gère avec lui la politique africaine de la France. Et qui sait l’orienter suivant les intérêts de son propre pays : Félix Houphouët Boigny, le président ivoirien. Il tisse le principal réseau de chefs d’Etat amis de la France, au travers de son parti le RDA, le Rassemblement Démocratique Africain. Il sera même une sorte de « grand frère » de tous les chefs d’Etat qui vont grandir sous son ombre, au point que les hommes de Foccart lui donnent le nom de code de « Big Brother ». « Houphouët co-gère avec Foccart la politique africaine de la France, explique Jean-Pierre Bat. Il impulse certaines orientations. Par exemple, il pense que l’implosion géopolitique du Nigeria est un atout pour la Côte d’Ivoire. C’est ce qui justifie, en grande partie, le soutien que la France apportera au colonel Ojukwu au Biafra entre 1967 et 1970 pour la sécession biafraise »

Services & mercenaires

Foccart ne s’appuie pas que sur son administration et ses réseaux personnels. Pour mieux utiliser les moyens des services français, il fait en sorte d’avoir un homme de confiance, Maurice Robert, à la tête de la toute nouvelle section Afrique du SDECE, le Service de documentation extérieure et de contre-espionnage. Il établit avec lui une relation de travail directe. A cette époque, la place des services est centrale car il s’agit avant tout de sécuriser le pré-carré français. « Dès 1958, depuis Dakar, un certain capitaine Robert -Maurice Robert-, est à la manœuvre pour sécuriser le vote en Afrique Occidentale Française en faveur du ‘Oui’. Il écrit d’ailleurs de longs rapports à Jacques Foccart, des rapports manuscrits, officieux qui ne transitent pas par la centrale du SDECE, dans lesquel il lui décrit le paysage politique et lui dit tout ce qu’on pourrait continuer à faire par delà l’indépendance. » Maurice Robert parvient, avec l’appui de Foccart, à se faire nommer chef du tout nouveau secteur Afrique que crée en 1960 le service de renseignement français, le SDECE. L’idée de Maurice Robert est d’installer un représentant du service auprès de chaque président africain, avec un contact direct avec chaque présidence africaine.

La politique de la France dans cette Afrique post-indépendance utilise un dernier levier d’action : les mercenaires. Foccart les utilise, au mépris des règles, pour pouvoir agir au-delà des limites de la diplomatie républicaine. « Pour Foccart, explique Jean-Pierre Bat, les mercenaires n’ont officiellement pas de place. Dans les faits, il sait très bien qu’il leur attribue un espace spécifique, qui consiste à être une force de frappe, non reliée officiellement à la France, mais qui lui permet d’avoir une sorte de droit de regard, d’ingérence ou d’action militaire dans des territoires en crise. Lorsque l’armée française ne pourra pas intervenir, on pourra avoir recours à des mercenaires qui pourront assumer une part totale d’illégallisme d’Etat. »

En 1974, l’échec à la présidentielle du candidat gaulliste Jacques Chaban Delmas et l’élection de Valéry Giscard d’Estaing provoquent une véritable tempête dans le marigot franco-africain. Le secrétariat général des Affaires africaines et malgaches est dissout. Giscard se choisit un nouveau conseiller, René Journiac.

Mais l’Afrique continue à occuper une place à part, gérée par la présidence. Certains grands principes de la politique foccartienne sont maintenus, comme l’imposition d’une « paix française » en Afrique.

Foccart, lui continuera, à être sollicité par les chefs d’Etat africains. Jacques Chirac en fait son conseiller à Matignon, puis conseiller présidentiel lors de son élection en 1995. L’homme de l’ombre décède en 1997.

► L’inventaire du fonds Foccart


Protéger les chefs d’Etat des pays amis

Jean-Pierre Bat commente trois notes manuscrites du Général de Gaulle18/03/2015 - par Laurent CorreauÉcouter

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source RFI