Mort du réalisateur portugais Manoel de Oliveira, le doyen du cinéma
De son vivant, il est entré dans l’histoire du cinéma comme le premier réalisateur centenaire en activité. Ce jeudi 2 avril, le réalisateur portugais Manoel de Oliveira est mort, dans sa maison de Porto, à l’âge de 106 ans, après avoir tourné une cinquantaine de films et documentaires.
En 2014 sortait son dernier film, O Velho do Restelo (Le Vieux du Retelo), un court métrage tourné en numérique et montré en public lors de son 106e anniversaire. En 1931, il avait réalisé son premier film, au temps du cinéma muet. Le cinéaste Manoel de Oliveira était le témoin d’un siècle du cinéma et la preuve que l’âge ne calme pas nécessairement le désir d’être créatif. « Je suis orphelin, comme tout le cinéma mondial. C’était un seigneur » a déclaré sur Twitter Gilles Jacob, l’ancien président du Festival de Cannes.
A 21 ans, il a sa première caméra
Né le 11 décembre 1908 à Porto, dans le nord du pays, ce fils issu d’une famille de la bourgeoisie industrielle s’intéresse très tôt aux images qui bougent. Les premiers films que Manoel de Oliveira a vus sur grand écran étaient des chefs d’œuvres de Charlie Chaplin et Max Linder. À sa majorité, il décide d’intégrer l’école d’acteur de Reno Lupo avant de tourner comme comédien dans le premier film parlant en langue portugaise, A Cançao de Lisboa. À 21 ans, son père lui offre sa première caméra avec laquelle il tourne un premier court métrage qui documente d’une manière très naturaliste la vie des marins et leur relation avec le fleuve Douro, Douro faina fluvial.
C’est en 1942, avec son premier long métrage tourné pendant la Seconde Guerre mondiale, qu’il se fait un nom comme réalisateur. Aniki Bobo crache d’une façon directe et émouvante la vie quotidienne des enfants des quartiers pauvres de Porto sur grand écran. Ainsi il devient un précurseur du néoréalisme.
Le cinéaste de la mentalité portugaise
La dictature de Salazar le fait fuir du Portugal, mais dans ses films, la politique et la mentalité portugaises ne seront jamais très loin. Avec La Chasse, une parabole sur la solidarité sortie en 1961, il s’attire les foudres du régime portugais qui lui interdit de tourner jusqu’en 1971. Une expérience qu’il a ensuite utilisée pour concevoir Le Passé et le Présent, un véritablement règlement de compte avec l’hypocrisie de la bourgeoisie portugaise avant de s’attaquer aux traits masochistes de son pays natal avec la tétralogie des Amours frustrées.
Au centre de chaque film, il y avait sa relation avec les acteurs. « Pour moi, le plus important dans des films, c’est le côté humain, avait-il expliqué lors de la présentation du film Le Couventen 1995. Alors ça repose sur les acteurs. Les acteurs sont l’éclat des films. Le scénario, c’est complémentaire. Mais c’est une représentation au-delà de la vie. C’est quelque chose qui ne dépend pas de notre volonté. Mais le jeu des acteurs part de leur volonté et c’est la représentation des êtres humains que nous sommes. »
« Pour moi, le plus important, c’est le côté humain »
Même centenaire, la source De Oliveira ne tarit pas. Pour son centième anniversaire, il reçoit une Palme d’or d’honneur pour l’ensemble de son œuvre avant de faire partie de la sélection officielle du Festival de Cannes, à l’âge biblique de 102 ans, avec L’Étrange Affaire Angelica.« Le cinéma, c’est le fils de la littérature et du théâtre, disait-il alors. Le théâtre est plus honnête parce que le cinéma représente le rêve, représente la pensée en filmant un film pensé, un film rêvé. Le théâtre ne filme pas cette chose. Dans le théâtre vient l’acteur. Il dit : je rêve de cela ou je pense cela. Ça, c’est naturel. Le cinéma non, il filme la pensée, le rêve. Dans le théâtre, l’évolution c’est vraiment théâtral. Dans le cinéma, l’évolution est technique. »
Deux ans après, il a présenté son dernier long métrage, Gebo et l’ombre, où il soumet Michael Lonsdale, Claudia Cardinale et Jeanne Moreau à une économie de moyens dans une mise en scène très théâtrale, totalement dépourvue d’effets. De Oliveira y ralentit la vie pour que le spectateur puisse disposer du temps pour déployer sa propre pensée.
Quand on lui posait la question de son âge, Manoel de Oliveira aimait répéter que « cesser de travailler, c’est mourir ». Aujourd’hui, c’est la mort qui a décidé qu’il cesse de faire du cinéma.
RFI