«Une parole libre» en Mauritanie
Ce sont des images qu’on voit rarement sur grand écran que le réalisateur Stéphane Le Gall-Viliker a capté dans ce pays largement méconnu en France. Au début, l’idée était de filmer des jeunes rappeurs mauritaniens lors d’un atelier d’écriture dans la capitale du pays, Nouakchott. Le projet s’est transformé en Une parole libre - Rap & Rim, une incroyable traversée de la scène hip-hop et de la jeunesse locale dans un pays divisé par ses inégalités et ses non-dits. Avant sa vraie première en Mauritanie, en juin, lors du festival du hip-hop Assalamalekoum, le documentaire a été présenté au 10e Panorama des cinémas du Maghreb et du Moyen-Orient qui se tient jusqu’au 17 avril à Saint-Denis, près de Paris. Entretien.
RFI : Futanké, l’un des rappeurs mauritaniens qui apparait dans votre film, a raconté par rapport à la liberté d’expression des rappeurs en Mauritanie, qu’ « il y a soit le mépris soit la censure ». Est-ce que c’était facile pour vous d’y tourner votre film sur la scène hip-hop ?
Stéphane Le Gall-Viliker : C’est un indicateur de la démocratie d’un pays de savoir si une caméra peut entrer librement dans ce pays. Pour parler de mon expérience au Maghreb, en ce qui concerne le Maroc, si on n’a pas d’autorisation de faire entrer du matériel, on ne peut pas. Pour la Mauritanie, il faut être invité par quelqu’un qui se porte garant et il faut pouvoir dire où et avec qui on tourne. Donc grâce au festival Assalamalekoum et à la bienveillance de la municipalité de l’époque à Nouakchott, j’ai pu filmer. Sans pour autant avoir eu une totale autorisation en bonne et due forme.
Est-ce qu’un cinéaste mauritanien aurait pu faire le même film que vous sur la scène hip-hop mauritanienne ?
J’ai essayé de vivre dans le même rythme que ces jeunes Mauritaniens, dans la maison, dans le désert, dans la musique, dans la progression de leurs textes. Est-ce qu’un cinéaste mauritanien aurait fait le même film ? Peut-être aurait-il été plus violent ou plus revendicatif, mais je ne suis pas sûr. En tout cas, le cinéaste mauritanien qui a fait Timbuktu, n’a pas parlé de son pays d’une manière extrêmement revendicatrice.
C’est difficile à dire. Abderrahmane Sissako fait un cinéma absolument magnifique, très épuré. Il a ceci d’exceptionnel qu’il veut absolument préserver un regard sur un mode de vie conservée et aussi garder la possibilité d’être en dehors des aléas immédiats du monde. Et cela peut-être au détriment d’une certaine actualité, cela veut dire qu’il ne parle pas d’une certaine d’actualité qui est celle de son pays dont les Négro-Mauritaniens qui vivent avec difficulté. Peut-être certains lui en feront le reproche. Je ne le fais pas complètement. Il aurait pu avoir quelques petites paroles…
Cette situation des Négro-Mauritaniens que vous évoquez dans votre film, est-ce une question taboue en Mauritanie ?
Il y a eu pendant les années 1980 une instrumentalisation des communautés par le pouvoir politique. C’est certain. A l’époque, les Arabo-Berbères étaient au pouvoir. Et on a pu tuer, assassiner, déporter, exproprier des Négro-Mauritaniens, des Wolofs, des Peuls. Aujourd’hui, ce n’est pas pacifié. Pour autant, il y a quelques petits pas qui ont été faits par le président Mohamed Ould Abdel Aziz pour essayer de rétablir une certaine confiance. Mais des gens restent spoliés, ils n’ont pas retrouvé leurs terres, des manifestations ont été durement réprimées. Je crois que c’est un grand non-dit, ce n’est pas un tabou. En tous cas, tant que la justice n’aurait pas été rendue, tant que toutes les terres n’auront pas été restituées, tant qu’il n’y aura pas eu des mécanismes qui permettent de parler, comme au Rwanda ou en Afrique du Sud, il y aura toujours ce ressentiment entre les communautés. Heureusement, certains ou la plupart des Négro-Mauritaniens ou des Arabo-Berbères essaient de dépasser ces questions communautaires instrumentalisées par le pouvoir et les partis politiques, au profit d’une idée plus large de la démocratie. Et c’est cela qu’il faut entendre.
Votre film vit d’une contradiction : on est dans un système montré comme répressif et en même temps vous présentez une scène artistique de hip-hop assez libre dans leurs paroles.
Oui. Il y a 3 000 groupes amateurs ou semi-professionnel de hip-hop recensés par le directeur du festival Assalamalekoum. Donc c’est une vraie contre-culture qui se fait jour à travers le mouvement hip-hop, qui chante un rap conscient. C’est une manière de ne pas faire la politique, mais de faire de l’art, de s’élever culturellement et spirituellement par la musique. Et cela en disant « nous n’entrons pas dans ces histoires de communautés qu’on monte les unes contre les autres. On est ensemble. » C’est cela qui important. La jeunesse essaie d’être ensemble par-delà les Wolofs, les Soninké, voire les Arabo-Berbères, car il y en a un ou deux groupes arabo-berbères qui font du rap et qui commencent à être ennuyé aussi…
Pour revenir au titre de votre film, cette parole libre est-elle en progression ?
Cette parole libre est aujourd’hui massive. Dans tous les quartiers, les gens chantent, écrivent. J’ai vu beaucoup de petits studios. Oui, il y a une parole libre. Après, il se pose la question comment elle est reprise dans l’espace public, dans les télévisions et radios ? Cela reste encore embryonnaire.