LE BORDEL DE L’INFORMATIQUE

Je vous présente la SOGIQUE

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Si vous ne connaissez pas, laissez-moi vous présenter la SOGIQUE, une drôle de créature, peu médiatisée, un peu gouvernementale, mais pas trop (ce n’est pas clair), qui dépensait des dizaines de millions de dollars chaque année sans vraiment être forcée de nous dire comment.

La SOGIQUE gagne à être connue. Elle a réalisé plusieurs projets à succès, dont certains ont remporté des prix. Mais d’autres questions se posent.

La SOGIQUE a été créée il y a plus de 20 ans. C’était un organisme sans but lucratif qui assurait le développement et le support des systèmes informatiques du réseau de la santé québécois, ce même réseau qui dépense aujourd’hui plus d’un demi-milliard $ par année seulement pour ses dépenses informatiques. Le même réseau qui a enclenché le projet d’informatisation de la santé, qui était promis en 2011 pour 543 M$ et qui coûtera au moins 1,6 G$ pour 2021.

En d’autres termes, c’était le bras informatique du ministère de la Santé, mais détaché du ministère. C’est un peu mêlant. Le ministère martèle que la SOGIQUE était indépendante, mais elle gérait l’argent des contribuables, elle a été créée par le ministère et un membre du ministère était toujours sur le conseil d’administration. Une bien drôle de bibitte, qui dans les faits, était un prolongement du ministère.

C’est un peu comme si le ministère des Transports confiait à une entreprise indépendante l’octroi et la gestion des contrats pour la construction des routes. Une entreprise moins imputable, qui n’a pas les mêmes comptes à rendre et surtout… qui n’est pas soumise à la Loi sur l’accès à l’information. Ça inquiéterait. Ça indignerait.

C’est bien ça, la SOGIQUE n’était pas soumise à la Loi sur l’accès à l’information. Ceux qui dépensaient les millions de dollars dans les achats informatiques pour le réseau de la santé durant ces années n’étaient pas forcés de tout nous expliquer. Et c’est le gouvernement qui en a décidé ainsi.

Un malaise… tellement, qu’en 2012, le gouvernement Charest a décidé de dissoudre la SOGIQUE et l’a intégré au ministère de la Santé. Le tout afin de réaliser des économies et assurer une gestion plus cohérente, rapportait mon collègue Rémi Nadeau à l’époque.

Le tout aussi, parce que les ministères, au Québec, doivent s’occuper eux-mêmes de leur informatique. C’est juste normal. Ils n’envoient pas ça à des semi-externes à moitié imputables dans une organisation à moitié publique.

Un ancien dirigeant arrêté

De 1997 à 2002, le directeur des systèmes informatiques de la SOGIQUE était Patrick Fortin. Selon son compte Linkedin, il fait partie de cofondateurs de la SOGIQUE. C’est lui qui préparait les dossiers informatiques pour qu’ils soient présentés au conseil d’administration. Si le nom vous dit quelque chose, c’est qu’il a été arrêté pour fraude par l’UPAC au début du mois relativement à ses fonctions alors qu’il travaillait chez IBM.

De 2006 à 2012, la patronne de la SOGIQUE était Josée Noreau, une ex-conseillère de Jean Charest et ex-candidate du Parti libéral. Elle est formée en sciences politiques et en administration. Reconnue pour ses qualités de gestionnaire, elle n’a toutefois aucune formation en informatique. Lorsque la SOGIQUE a donc été dissoute, elle a dû se trouver un nouvel emploi et le gouvernement libéral l’a nommée vice-présidente au Centre des services partagés du Québec, plus grand donneur d’ouvrages en informatique au gouvernement.

Jessica Nadeau, du Devoir, a publié le mois dernier un reportage plus que préoccupant pour témoigner du malaise et du manque de transparence concernant les activités de la SOGIQUE. Un contrat de gré à gré atteignant 3 M$ a été octroyé à une firme informatique, mais c’était impossible pour le public de le savoir. Il n’était pas affiché sur le site internet gouvernemental prévu à cet effet.

S’il n’était pas affiché publiquement, c’est parce que le contrat a été signé par la SOGIQUE avant sa dissolution. Et comme la SOGIQUE ne joue pas selon les mêmes règles qu’un ministère, l’organisation a décidé de ne pas dire au public que ce contrat sans appel d’offres a été octroyé.

Depuis le 1er janvier 2013, la SOGIQUE a été intégrée au ministère. Donc ce contrat, qui s’est prolongé avec le ministère, doit être affiché publiquement depuis deux ans.

Mais non, le ministère a visiblement oublié ou avait d’autres choses à faire, peut-on conclure en lisant l’article du Devoir.

À la lumière de cette information, peut-on se questionner un peu plus sur les contrats que la SOGIQUE a octroyés durant toutes ces années? On peut se poser des questions, mais ça s’arrête là. La SOGIQUE n’était pas soumise à la Loi sur l’accès à l’information… C’est triste. Au moins, le service d’accès à l’information du ministère de la Santé est particulièrement collaborateur et tentera d’obtenir l’information, mais si les documents n’ont pas été conservés, car la SOGIQUE n’était pas obligée de le faire, cela ne servira à rien.

Pour démontrer l’inaccessibilité des informations émanant de la SOGIQUE, voici l’échange que j’ai eu avec le ministère de la Santé sur un autre sujet lors des derniers mois:

Le 31 octobre, je demande au ministère combien d’argent la SOGIQUE a versé pour un service précis entre 2006 et 2012.

Le 4 novembre, le ministère me répond ne pas être en mesure de répondre, car entre 2006 et 2012, la SOGIQUE était un OSBL et n’avait pas encore été intégrée au ministère.

Le 4 novembre, je réponds au ministère: «donc, si je veux poser des questions sur la SOGIQUE avant 2012, à qui dois-je m’adresser?» (Je ne comprenais pas qu’on ne puisse ne pas me répondre sur un organisme qui dépense notre argent et qui est affilié au ministère)

18 novembre, je n’avais pas reçu de réponse donc je laisse un message vocal. Et je demande des nouvelles par courriel.

Le 18 novembre, on me répond que quelqu’un va aux nouvelles pour moi.

Le 21 novembre, je n’ai pas eu de nouvelles et je les relance.

Le 24 novembre, je n’ai pas eu de nouvelles et je les relance.

Le 25 novembre, je n’ai pas eu de nouvelles et je les relance.

Le 25 novembre, on me répond qu’on me reviendra

Le 2 décembre, j’écris au ministère pour mentionner que ça fera bientôt un mois que j’ai posé ma question.

Le 2 décembre, on me répond que je dois faire une demande d’accès à l’information. J’ai donc attendu un mois pour rien.

Le 3 décembre, je demande pourquoi cela a pris un mois pour me répondre qu’on ne pouvait pas me répondre. La même journée, on me répond que les employés des relations médias ont un horaire très chargé.

Finalement, je n’ai jamais obtenu l’information précisément demandée.

Journal de Montréal