PARIS | Avec une descente modérée et une trajectoire linéaire conduisant l’avion directement sur les montagnes, les experts et pilotes pointent un comportement inexplicable de l’équipage de l’Airbus A320 de Germanwings qui s’est écrasé mardi dans le sud-est de la France faisant 150 morts.
1- Que nous apprend la trajectoire de l’avion?
L’avion s’est mis en descente modérée, ce qui exclut un décrochage ou une descente d’urgence. L’appareil a manifestement continué à avoir de la portance (la force permettant à l’appareil de se maintenir en altitude, NDLR), expliquent des commandants de bord et anciens enquêteurs du Bureau d’enquêtes et d’analyses (BEA) français interrogés par l’AFP.
Une mise en descente de l’appareil résulte nécessairement d’une action de l’équipage.
L’avion est resté sur sa trajectoire horizontale. Il a poursuivi son plan de vol excepté pour l’altitude, selon les données fournies par le serveur Flightradar24.
Crash A320: une trajectoire linéaire, un comportement de l’équipage anormal
«Or aller tout droit en direction des montagnes n’a aucun sens. Tout ceci correspond à une action anormale de la part de pilotes professionnels parfaitement en possession de leurs moyens ou alors à une absence de réaction d’un équipage», explique un commandant d’une grande compagnie européenne.
2- Comment peut-on expliquer ce comportement anormal ou cette absence de réaction de l’équipage?
«Si les pilotes n’ont pas empêché l’avion d’aller s’écraser contre les montagnes, c’est que soit ils étaient inconscients ou morts, soit ils ont décidé de mourir, soit on les a obligés à mourir», résume un des experts.
«L’une des hypothèses est qu’il y a eu une dépressurisation lente et que le masque à oxygène n’ait pas fonctionné. Dans un tel cas, les pilotes se seraient retrouvés très vite en état d’hypoxie» (diminution du taux d’oxygène dans le sang), avancent plusieurs pilotes et anciens enquêteurs du BEA.
Non sans rappeler le cas du crash d’un Boeing 737 de la compagnie chypriote Hélios, le 14 août 2005 qui avait fait 121 morts. Le jour du crash, des mécaniciens avaient fait un test de pressurisation et avaient oublié de remettre la manette de pressurisation sur le mode automatique. Lors de son ascension, l’avion n’a pas été pressurisé et l’oxygène est venu à manquer. Les pilotes sont tombés inconscients. L’avion qui était sur pilote automatique s’est écrasé après avoir épuisé ses réserves de carburant. Des avions de chasse l’avaient escorté et avaient assisté impuissant à sa perte.
Pour l’heure, on ne peut pas exclure non plus le suicide d’un pilote qui aurait dû alors neutraliser son collègue ou l’intervention d’une tierce personne dans le cockpit. Il est donc crucial de pouvoir lire l’enregistreur de vol retrouvé mardi.
3- L’exploitation du Cockpit voice recorder (CVR), l’une des deux boîtes noires retrouvée mardi mais endommagée, est-elle possible?
«Endommagé ne signifie pas inexploitable», souligne Jean-Paul Troadec, ancien directeur du BEA. «La carte mémoire, semblable à celle que l’on trouve dans les ordinateurs, est particulièrement bien protégée. Or cette carte mémoire est la partie utile du CVR», dit-il. «On peut récupérer une boîte noire apparemment très endommagée mais dont la carte est intacte. Cela est fait pour résister à des chocs extrêmement violents», ajoute-t-il.
Crash A320: une trajectoire linéaire, un comportement de l’équipage anormal
REUTERS
Dans le cas de connections rompues, le BEA dispose d’une grande expertise pour les reconnecter, relève-t-il.
4- Quels éléments concrets apporte une lecture du CVR?
Le BEA a réussi à extraire des données utilisables, mais n’était pas en mesure de donner plus de précisions sur son contenu. Selon son directeur, Rémi Jouty, «il est beaucoup trop tôt pour en tirer la moindre conclusion sur ce qui s’est passé».
Il a précisé que les enquêteurs vont désormais s’atteler à un travail détaillé pour comprendre et interpréter à la fois les sons et les voix qui peuvent être entendus sur ce fichier audio. Mais «l’exploitation du CVR peut rarement se faire toute seule, elle doit se faire en coordination avec les paramètres du vol, que nous n’avons pas encore», dans la mesure où la seconde boîte noire n’a pas encore été retrouvée.
«On devrait apprendre qui était aux commandes. Si le commandant était seul dans le cockpit ou pas. S’il y avait d’autres personnes que le commandant et son copilote. Si oui, il est probable que des conversations aient été échangées», explique M. Troadec.
Le CVR permet aussi d’entendre les bruits de la porte qui s’ouvre et se referme, le bruit des différentes commandes et interrupteurs. Tous les petits cliquetis peuvent donner des informations précieuses pour la compréhension de l’accident.
Si des alarmes (incendie, dépressurisation, etc.) ont retenti, elles devraient aussi être audibles.
5- Y a-t-il eu explosion avant impact?
Le directeur du BEA a expliqué que l’Airbus «a volé jusqu’au bout», suivi par les radars, et n’a donc pas explosé en vol, comme l’indique la configuration des débris au sol, cohérente avec un impact de l’appareil entier.
Par ailleurs, l’avion a été vu par des témoins avant le crash. Il était entier.
Journal de Montréal