Quarante ans après la chute de Saïgon, la guerre du Vietnam laisse le souvenir d’un conflit dévastateur pour les deux camps. Humiliés, les Etats-Unis ont perdu à la fois militairement et moralement. Quant au Vietnam, l’arrêt des combats n’a pas débouché sur la réconciliation escomptée. Bilan d’une « sale guerre ».
Quarante ans après, le sujet demeure brûlant. La meilleure preuve ? Selon que vous vous situiez dans un camp, dans l’autre, ou dans aucun des deux, ce 30 avril 1975 dont on célèbre aujourd’hui le 40e anniversaire, ne porte pas le même qualificatif. Pour les gens neutres, ce 30 avril représente tout simplement la date anniversaire de « la fin de la guerre du Vietnam ».
Pour ceux du Nord en revanche, le camp des vainqueurs, le 30 avril célèbre en réalité « la libération et la réunification du pays » alors que pour ceux du Sud, le camp des vaincus, cette date marque plutôt « la perte de la patrie ». « On sait tout de suite de quel côté vous êtes, suivant la manière dont vous qualifiez cet événement », précisent des Vietnamiens de France à qui l’on pose la question.
Chacun sa vérité évidemment pour cette guerre ultra-médiatisée, la première vraiment couverte extensivement par la télévision, et en couleur, un conflit qui a laissé des séquelles durables au Vietnam, théâtre des opérations dévasté sur ses terres et dans sa chair, mais qui a aussi traumatisé les Etats-Unis, des States ébranlés pour la première fois dans leur statut de superpuissance par une défaite humiliante, un conflit à la fin duquel ils endossèrent le rôle du bad guy, celui du méchant.
Une sale guerre
Le 30 avril 1975 quand les troupes Viêt-Cong pénètrent dans Saïgon après la capitulation du Sud-Vietnam, c’est un chapitre entamé dix ans plus tôt qui se ferme pour les Américains alors que décolle, ce matin-là, le dernier hélicoptère du toit de l’ambassade US. À l’inverse, c’est une nouvelle ère qui semble s’ouvrir pour un pays réunifié. Réunifié dans la gloire pour les uns ; dans la contrainte pour les autres. Les dégâts provoqués par cette « sale guerre », comme beaucoup l’ont qualifiée (même si l’on ne connaît pas de guerres propres, évidemment), sont en tous cas immenses.
Sur le plan humain tout d’abord. Côté vietnamien, le nombre exact de victimes reste encore assez difficile à déterminer aujourd’hui avec précision. Les armes et les méthodes de combat utilisées ont rendu le décompte difficile. Le CACCF américain (Combined Action Combat Casualty File) avance le chiffre de 1,1 million de soldats nord-vietnamiens tués au combat, des morts auxquels il faut ajouter 600 000 blessés. Cette même source fait état de 223 000 tués dans le camp sud-vietnamien ajoutés à 1,1 million de blessés. Le CACCF américain évalue également le nombre des victimes civiles vietnamiennes dans une fourchette – extrêmement large – qui va de 500 000 à 1,2 million de morts.
Les pertes américains, elles, sont connues avec précision : 58 272 morts et 304 704 blessés, selon ces mêmes sources US du CACCF qui précise sur son site internet que, grosso modo, un soldat américain sur dix ayant servi au Vietnam n’en n’est pas revenu indemne physiquement ou pas revenu du tout. Et encore ces calculs ne prennent-ils pas en compte les dommages collatéraux des familles brisées, des vies ravagées, des troubles psychologiques inexpurgés de part et d’autre de l’océan Pacifique.
Pour beaucoup de Vietnamiens, la fin de la guerre n’a pas coïncidé avec la fin du cauchemar. On pense évidemment aux exécutions sommaires perpétrées après la fin du conflit (le chiffre de 65 000 exécutions est avancé par de nombreuses sources), aux déportations dans des camps de rééducation (au moins 1 million de personnes, parmi lesquelles 165 000 auraient trouvé la mort) et à ceux qui devinrent pour le monde entier les « boat people ». Fuyant le régime en place, ils ont été environ 1,5 million à quitter le pays entre 1975 et 1979. Entre 50 000 et 200 000 d’entre eux (effrayante approximation des chiffres) auraient péri en mer.
Des dégâts durables et considérables
A ces pertes et à ces blessures humaines, il faut ajouter les dégâts matériels considérables dans un pays grand comme les deux tiers de la France (331 000 km2) et peuplé de 50 millions d’habitants à la fin de la guerre (90 millions aujourd’hui). Entre 1965 et 1973, l’armée américaine a largué 7 millions de tonnes de bombes dans la région, trois fois plus que durant la Seconde Guerre mondiale. Des bombes beaucoup plus destructrices, principalement les bombes incendiaires au napalmaux conséquences dévastatrices pour les populations et catastrophiques pour les écosystèmes.
Outre ces armes de destruction massive, l’arme chimique a également causé des dégâts très importants. En particulier l’utilisation de l’agent Orange, un puissant défoliant qui fait que, aujourd’hui encore, des forêts entières semblent sans vie, comme en témoigne l’écrivaine Trang Ha dans l’interview qu’elle nous a accordée (v. interview ici). Conséquence indirecte et plus tragique encore, ce poison a provoqué des malformations à la naissance, des maladies génétiques et des cancers bien après la fin des hostilités.
Durant la seule année 1969, plus de 1 million d’hectares de forêt ont été anéantis et d’autres herbicides ont rendu durablement infertiles des centaines de milliers d’hectares de rizières. Même si le pays a désormais retrouvé une certraine prospérité économique - les Etats-Unis sont d’ailleurs devenus les premiers clients du Vietnam dans les échanges commerciaux - les blessures du passé ne sont pas encore refermées. Après un tel carnage, il est encore trop tôt.
RFI