Kenya: à Garissa, des familles entre colère et confusion
Deux jours après l’attaque menée par des islamistes shebabs à l’université de Garissa, qui a fait 148 morts, des familles de victimes se présentent toujours devant l’université pour rechercher leurs proches. Le campus universitaire est toujours bouclé par la police et par l’armée. Néanmoins, les rues de Garissa ne sont pas surveillées plus strictement qu’avant l’attentat.
Avec notre envoyée spéciale
L’université était toujours bouclée, samedi soir. C’était d’ailleurs le seul bâtiment resté sous bonne garde à Garissa, car les experts légistes travaillaient encore sur place. Samedi, des véhicules avec des plaques d’immatriculation diplomatiques américaines sont sortis de l’entrée principale de l’université en début d’après-midi. Il s’agit du FBI, la police fédérale américaine, selon un journaliste de la presse locale. Washington coopère donc à l’enquête. Des membres des services de sécurité américains se trouvaient déjà à Nairobi, pour préparer la visite du président Obama en juillet dans le pays de son père.
Dans l’établissement, samedi toujours, des ambulances ont fait des allers-retours au cas où des survivants seraient encore retrouvés. Une femme qui s’était cachée depuis la fusillade a été découverte. Les corps des défunts et les rescapés ont tous été rapatriés vendredi et samedi vers la capitale kényane. Les derniers bus sont partis à la mi-journée. Mais des familles continuent de se présenter à l’université pour savoir ce que sont devenus leurs proches. Ces personnes n’arrivent pas à obtenir les listes des noms des victimes ou une quelconque information. Tout le monde les renvoie vers Nairobi, où la Croix-Rouge tente de compiler les noms de survivants.
La recherche de proches introuvables
Francis est instituteur. Cela fait deux jours qu’il sillonne la ville à moto, à la recherche de sa cousine. En vain. « Je ne sais pas où elle est, s’inquiète-t-il. Je suis allé voir les équipes de secours, ils ont sauvé des centaines d’étudiants, j’ai cherché là-bas, mais je ne l’ai pas trouvée. Maintenant, je ne sais pas si elle est vivante ou pas. La police ne nous dit rien. Mais je commence à penser qu’elle a été assassinée. »
Le jeune homme a pu recueillir des témoignages des camarades de chambrée de sa cousine. Elle se serait cachée sous un lit. Entre espoir et résignation, aujourd’hui, il ne comprend pas pourquoi tous les corps des victimes et les blessés ont été ramenés à Nairobi. A deux pas derrière lui, un ambulancier s’arrête pour acheter une bouteille de soda dans une boutique. « Nous sommes encore là au cas où ils trouvent encore des survivants,explique-t-il. Aujourd’hui, on a trouvé une femme. D’après ce qu’on a compris, depuis jeudi elle se cachait dans un placard. Elle est restée là-dedans jusqu’à aujourd’hui. La police était en train de fouiller les environs et ils l’ont trouvée vivante. »
Parade macabre avec les dépouilles des assaillants
Les corps des quatre terroristes sont quant à eux restés sur les lieux. En début d’après-midi, samedi, une rumeur a circulé en ville : ces dépouilles allaient être présentées sur le terrain de jeu d’une école primaire. Une marée humaine a alors convergé et de fait, on a vu apparaître une camionnette avec quatre corps à l’arrière. Mais devant la foule, le véhicule a fait machine arrière et a été raccompagné par des flots d’habitants jusqu’à l’hôpital où se trouve la minuscule morgue de la ville.
On ne peut pas croire le gouvernement sur parole, répétaient en substance les gens qui ont assisté à la mise en scène. On veut savoir qui sont les assaillants et s’ils ont bien été tués, entendait-on. Certains, comme Enock (écouter son témoignage ci-contre), faisaient référence au drame du centre commercial de Westgate, où finalement les forces de sécurité se sont contentées de dire que tous les assaillants avaient été tués. Illustration de la défiance de la population vis-à-vis de l’Etat.
Les gens se pressent aux fenêtres de la morgue
A l’endroit où étaient entreposés les corps des assaillants, les trois ou quatre gardes de sécurité de l’hôpital ont fini par laisser approcher cette foule composée d’hommes, de femmes et d’enfants sceptiques. Les silhouettes des corps apparaissaient à travers les vitres à même le sol. En tête des visiteurs : des femmes voilées de tous les âges. « Je suis bien contente qu’ils soient morts. Ceux-là ne nous feront plus d’ennuis », confiait l’une d’elles.
Entre rires et nausées, même les enfants pressaient leur nez sur les fenêtres de la morgue, si sales qu’elles étaient quasi opaques. Beaucoup sont aussi venus pour vérifier l’origine des assaillants. Un jeune homme s’explique : « On essaie de savoir qui ils sont, d’où ils viennent, leur tribu, leur clan. Mais nous n’avons rien trouvé. Et on ne sait toujours pas qui ils sont. » Gardes de la sécurité de l’hôpital, policiers ou militaires croisés en ville ; personne ne semble savoir qui avait donné l’ordre de sortir les corps de la morgue pour les exposer, ni pourquoi.
A Garissa, on est bien loin des grands discours de Nairobi, notamment de celui du président Kenyatta qui a appelé les Kényans à s’unir contre le terrorisme. Le chef de l’Etat ne s’est d’ailleurs jamais rendu sur les lieux du drame et n’y viendra sans doute pas, ce qui en surprend plus d’un ici.
Trois jours après l’attaque, toutes les autorités locales sont à Nairobi ou « en week-end pour cause de fêtes » de Pâques. Et désormais à Garissa, seul le couvre-feu rappelle qu’il y a eu, jeudi dernier, une attaque terroriste massive. Quasiment aucune présence policière ou militaire n’est visible dans les rues.
Vers un retour à la normale ?
Le colonel Kamali, qui est à la tête des troupes basées à Garissa - ville située à quelques dizaines de kilomètres de la frontière somalienne - disait samedi soir qu’il ne voyait aucune raison pour que l’on déploie plus d’effectifs que les habituelles patrouilles de police :
« Les manœuvres touchent à leur fin. Nous avons tout réglé. Les morts, les survivants, ils ont tous été emmenés à Nairobi. Tout est fini. Il n’y a plus que les experts légistes à l’université. Ce n’est pas une scène de crime comme les autres, donc ils ne peuvent pas partir tout de suite. Il faut qu’ils finissent leur travail. »
L’heure est donc, selon le colonel, au retour à la normale : « Sur le coup, au moment où c’est arrivé, toutes les forces de sécurité patrouillaient, mais jusqu’à présent, on a réussi à tout ramener à la normale. Donc voilà, il n’y a rien de plus à faire. On est dans notre camp, la police est en ville. Maintenant, la sécurité, c’est le travail de la police. »