Les travailleurs pauvres de l’Amérique

Le salaire minimum devient un enjeu politique, où 42 % des travailleurs gagnent moins de 15 $ l’heure

Des dizaines de milliers de travailleurs des industries à bas salaires comme la restauration rapide ont manifesté à travers les États-Unis le 15 avril pour exiger un salaire minimum de 15 $ l’heure.

Maria Fernandes travaillait dans trois restaurants Dunkin Donuts pour arriver à boucler ses fins de mois et elle dormait deux heures par jour dans sa voiture entre ses quarts de travail. L’employée modèle ne s’est jamais réveillée de sa dernière sieste.

Le 25 août dernier, après avoir servi des cafés et des beignes toute la nuit, Maria Fernandes a stationné son véhicule derrière une épicerie pour faire une sieste avant de retourner travailler en après-midi.

La jeune femme de 32 ans dormait si souvent dans sa voiture, qu’elle conservait un bidon d’essence à l’arrière pour ne pas se retrouver en panne.

Comble de malheur, le bidon s’est renversé, créant des émanations toxiques. Elle a été retrouvée morte dans son uniforme de travail.

Maria Fernandes gagnait le salaire minimum de 8,25 $ l’heure dans trois succursales du New Jersey pour arriver à payer son loyer de 550 $ par mois.

Son histoire tragique est devenue le symbole des difficultés auxquelles font face les travailleurs au bas de l’échelle aux États-Unis, où la bataille du salaire minimum fait rage.

Bataille

Depuis deux ans, les manifestations se multiplient à travers le pays. Les travailleurs exigent deux choses: un salaire de 15 $ l’heure et le droit de se syndiquer sans risquer de se faire mettre à la porte. «C’est un mythe de penser que les travailleurs au salaire minimum sont des étudiants. La plupart ont plus de 35 ans, ce sont des pères et des mères de famille qui peinent à survivre en gagnant 7,25 $ l’heure», dit Irene Tung, chercheuse au National Employment Law Project à New York.

Le 15 avril dernier, des dizaines de milliers de travailleurs des industries à bas salaires ont manifesté dans plus de 200 villes aux États-Unis.

«Il y a un momentum énorme en ce moment pour cette cause et on va beaucoup en entendre parler dans la campagne présidentielle qui commence. Les États-Unis sont en retard sur cette question», poursuit Mme Tung.

Un nouveau projet de loi démocrate (Raise the Wage Act) propose de faire grimper le salaire minimum fédéral à 12 $ – presque le double du seuil actuel de 7,25 $ – d’ici 2020.

Cette hausse aiderait plus de 38 millions de travailleurs américains. Reste à voir si ce projet sera approuvé par le Congrès à majorité républicaine.

«Ce serait historique», souligne Mme Tung. Une augmentation à 12 $ rétablirait le salaire minimum à son pouvoir d’achat de la fin des années 1960.

Vent de changement

Certaines villes plus progressistes ont déjà fait des bonds spectaculaires. À Seattle, le salaire minimum est passé à 15 $ l’heure.

San Francisco emboîtera le pas en 2018 et Chicago passera à 13 $ l’heure en 2019. Los Angeles est en train d’examiner la question, tout comme la ville de New York.

Par contre, d’autres États, comme la Géorgie et le Wyoming, sont encore loin derrière avec des salaires minimums de 5,15 $ l’heure.

Petites victoires

Le président américain Barack Obama a signé un décret portant à 10,10 $ le salaire minimum horaire des contractuels de l’État, pour les personnes embauchées à partir du 1er janvier 2015. C’était une de ses promesses électorales.

Face à la pression populaire, certaines compagnies ont changé leurs pratiques. Wal-Mart augmentera le salaire minimum de ses employés à 10 $ en 2016 et Target l’augmentera à 9 $ l’heure.

McDonald’s a annoncé que le salaire d’environ 90 000 travailleurs américains sera haussé à 10 $ l’heure. L’augmentation ne touchera pas les employés des franchises. Or, près de 90 % des restaurants McDonald’s sont des franchises. La bataille est loin d’être gagnée.

Le salaire minimum au États-Unis

  • 42 % des travailleurs américains sont payés moins de 15 $ l’heure
  • 66 % des travailleurs au salaire minimum sont des femmes
  • 933 : Un président de compagnie gagne 933 fois le salaire d’un travailleur au salaire minimum. Le président gagne en moyenne 14 millions $, tandis que le travailleur au bas de l’échelle obtient 15 080 $ par année
  • 7,25 $ : Le salaire minimum fédéral. Il est au même niveau depuis 2009. Chaque État, et même chaque ville, peut fixer son propre salaire minimum, à condition qu’il soit supérieur au plancher fédéral.
  • 5,15 $ : Salaire minimum dans les États de Géorgie et du Wyoming. Ce sont les deux seuls États qui sont en dessous du plancher fédéral.
  • 29 : Nombre d’États qui ont un salaire minimum supérieur au salaire minimum fédéral
  • 3,3 millions : Nombre de travailleurs américains qui recevaient en 2013 le salaire minimum fédéral de 7,25 $ l’heure ou moins.
  • 11 000 $ : Salaire moyen d’un travailleur de la restauration rapide à New York, soit 25 % de ce dont le travailleur a besoin pour survivre dans cette ville.
  • 60 % des travailleurs de la restauration rapide à New York sont inscrits à des program­mes d’aide publics qui coûtent 708 millions $ par année à cet État.

Sources: National Employment Law Project et The Center for American

Des tragédies de la pauvreté

James Robertson, 56 ans, faisait plus de 33 km à pied chaque jour pour se rendre au travail parce qu’il n’avait pas accès au transport en commun ni à une voiture.

PHOTO REUTERS
James Robertson, 56 ans, faisait plus de 33 km à pied chaque jour pour se rendre au travail parce qu’il n’avait pas accès au transport en commun ni à une voiture.

L’histoire de James Robertson a ému l’Amérique. Jusqu’en février dernier, cet employé d’usine de 56 ans parcourait 33 km chaque jour à pied pour se rendre au travail. Son salaire de 10,55 $ l’heure ne lui permettait pas d’avoir une voiture et la région de Détroit où il habite n’a pas de service de transport en commun. Son histoire a fait le tour du monde. Il a depuis reçu 360 000 $ de dons et une nouvelle voiture.

Shanesha Taylor, une mère de famille de l’Arizona, a été arrêtée après avoir laissé ses deux enfants dans sa voiture sous le soleil pendant qu’elle passait une entrevue d’emploi pour une compagnie d’assurances. Mme Taylor, qui était sans-abri à l’époque, a dit aux policiers que c’était sa seule option pour sortir sa famille d’une situation précaire. Elle n’avait pas les moyens de payer une gardienne et n’avait personne qui puisse garder ses enfants. Elle a plaidé coupable à une accusation de maltraitance d’enfant. Elle fait face à au moins 10 ans de probation sous surveillance quand le verdict sera rendu le 15 mai prochain.
En Caroline du Sud, une mère de 46 ans a été arrêtée et emprisonnée pendant 17 jours pour négligence parce qu’elle avait laissé sa fille de neuf ans jouer dans un parc pendant qu’elle allait travailler chez McDonald’s. Debra Harrell n’avait pas les moyens de payer une gardienne. Sa fille lui a demandé de passer la journée au parc plutôt que de passer la journée assise au McDonald’s, rapporte CNN. La mère a pris soin de donner un téléphone cellulaire à sa fille. Un adulte a avisé les policiers de la situation. Les autorités ont déclaré que la jeune fille avait été «aband

Un employé sur 10 gagne autour du minimum au Québec

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Quand on parle de salaire minimum au Québec, on pense principalement à des étudiants qui travaillent à temps partiel pour payer leurs études ou se faire de l’argent de poche. On est loin de la réalité.

«C’est un préjugé qui persiste de penser que les gens qui ont des jobs au salaire minimum sont des étudiants qui travaillent à temps partiel chez McDo ou dans un Cinéplex», dit Minh Nguyen, chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS).

Parmi les 455 500 personnes faiblement rémunérées au Québec, près de 45 % ont 25 ans et plus.

«Ces personnes dépendent clairement du salaire minimum pour vivre», ajoute M. Nguyen.

Les femmes forment la majorité de ce groupe de travailleurs au bas de l’échelle, soit 58 %.

«Il faut aussi souligner qu’il y a beaucoup de membres des minorités visibles, de jeunes qui ne sont pas aux études et de plus en plus de vieux», précise Carole Yerochewski, sociologue au GIREPS et auteure du livre Quand travailler enferme dans la pauvreté et la précarité.

Au Canada

Le 1er mai, le tarif horaire est passé à 10,55 $ pour les travailleurs québécois.

Le salaire minimum dans le reste du Canada se situe au-dessus de 10 $ l’heure. Les Territoires du Nord-Ouest ont le salaire le plus élevé avec 12,50 $ et la Saskatchewan le plus bas avec 10,20 $.

Au Québec comme aux États-Unis, la situation des travailleurs au bas de l’échelle est la même. Même s’ils travaillent à temps plein, il leur est impossible de se sortir du seuil de la pauvreté.

«Quelqu’un qui travaille à 10,55 $ l’heure, ce n’est pas possible de s’en sortir. Deux adultes qui travaillent au salaire minimum font 45 600 $ par année. Le coût de la vie à Montréal est de 51 000 $ par année», dit M. Nguyen.

4 $ de plus

Ce dernier croit que le salaire minimum au Québec devrait plutôt être de 14,25 $. «C’est le montant minimum pour qu’une personne puisse améliorer son sort et étudier sans s’endetter», dit-il.

Selon l’Institut de la statistique du Québec, plus d’un employé sur dix gagne autour du salaire minimum.

«Le salaire minimum a énormément perdu en pouvoir d’achat au cours des 40 dernières années. C’est vrai aux États-Unis, au Canada et au Québec», dit Mme Yerochewski.

«Je n’ai pas le sentiment que le Québec et le Canada se portent beaucoup mieux que les États-Unis. On a ici aussi des gens qui ont besoin d’avoir deux emplois pour s’en sortir», ajoute-t-elle.

JOURNAL DE MONTREAL