Akere Muna est avocat camerounais, militant de la lutte pour les droits de l’homme.
« Ces derniers jours, les contradictions qui caractérisent notre cher continent m’ont taraudé.
J’ai regardé avec stupeur des Africains être secourus sur les côtes italiennes, pour apprendre plus tard que 400 autres étaient portés disparus, puis que plus de 700 fils et filles du continent s’étaient noyés au large des côtes libyennes. Comment en arrive-t-on à mettre sa vie en péril en cherchant à la rendre meilleure ? Comment cette tragédie hors du commun est-elle devenue si ordinaire ?
En Grande-Bretagne, dans le Sun, la très controversée Katie Hopkins a, dans sa chronique du 18 avril, traité les migrants de « sauvages » et décrit certaines villes britanniques comme des « plaies purulentes, gangrenées par des essaims de migrants et de demandeurs d’asile qui dépensent les allocations comme des billets de Monopoly ». Avant d’ajouter : « Ils sont comme des cafards […]. Ce qu’il faut, ce sont des navires de guerre pour renvoyer ces embarcations dans leur pays. »
J’ai écouté aussi des extraits du discours du roi des Zoulous au sujet des étrangers. « Vous pouvez voir leurs articles répugnants exposés dans toutes nos boutiques, a-t-il déclaré. Ils salissent nos rues […]. Nous demandons aux étrangers de ramasser leurs effets et de rentrer dans leurs pays. » Emmanuel Sithole, un Mozambicain, a été massacré devant plusieurs spectateurs. Il y avait une clinique de jour dans les environs, mais le médecin était absent. Lui-même était étranger et n’avait pas osé se rendre au travail ce jour-là de peur de perdre la vie.À la télévision, j’ai vu des personnes brûlées, des biens détruits, et j’ai écouté des déclarations qui m’ont donné des frissons.
Mon frère, je t’écris parce que je veux comprendre. En regardant ces scènes de violence, je me suis souvenu de l’enterrement de Nelson Mandela. Je me suis rappelé les présidents Jakaya Kikwete et Kenneth Kaunda racontant le chemin parcouru pour que l’Afrique du Sud et le reste du continent soient libres. La veuve de Julius Nyerere était là elle aussi ; elle avait apporté les bottes que Mandela avait un jour laissées derrière lui, quand il allait d’un pays à l’autre pour expliquer le sort de son peuple.
À l’époque, l’aide provenait de tous les pays d’Afrique. J’ai essayé de comprendre comment un peuple pouvait s’attaquer à ceux qui ont prié, lutté et versé leur sang à ses côtés. Je me souviens de l’époque où j’étais étudiant au Royaume-Uni et aux États-Unis : nous boycottions certaines banques, nous sortions des salles de classe en signe de protestation contre un orateur « contaminé »… Un profond sentiment de solidarité nous animait.
Souvenons-nous de ce que Haïlé Sélassié disait à la tribune des Nations unies en octobre 1963 : « Les régimes ignobles et malheureux qui maintiennent nos frères en Angola, au Mozambique et en Afrique du Sud dans une captivité déshumanisante ont été renversés et détruits ; aussi longtemps que l’intolérance, la discrimination, la malice, l’égoïsme inhumain ne seront pas remplacés par la compréhension, la tolérance et la bonne volonté ; aussi longtemps que tous les Africains ne se lèveront pas et ne parleront pas comme des êtres libres, égaux aux yeux de tous les hommes comme ils le sont devant Dieu ; aussi longtemps que ce jour n’arrivera pas, nous ne connaîtrons pas la paix en Afrique. Nous, les Africains, nous lutterons et nous savons que nous gagnerons, car nous sommes confiants dans la victoire du bien sur le mal. »
Alors, mon frère, même si nous n’avons pas de réponse à Boko Haram, même si des terroristes et des brigands justifient leurs actes barbares en invoquant la religion, même si nos dirigeants poussent leurs concitoyens à quitter leur propre pays, nous devons être des vecteurs du dialogue et de la compréhension. Nous devons monter à bord de la locomotive du panafricanisme.Jadis, marcher ensemble était notre force. Personne ne peut penser que sa condition peut être améliorée à travers la souffrance infligée aux autres.
En conclusion, mon frère, rappelons-nous ce que disait Sélassié : « Nous devons devenir quelque chose que nous n’avons jamais été et pour laquelle notre éducation, notre expérience et notre environnement nous ont mal préparés. Nous devons devenir plus grands que nous n’avons jamais été. » »
Jeune Afrique