Guinée : Quel pays allons-nous léguer à nos enfants et à nos petits-enfants ?
Nous créons notre propre réalité par nos pensées et nos actions. Pour chaque action ou manque d’action, il y a une conséquence. Quand nous nous dénantissons de nos pensées et de notre responsabilité, nous aliénons aussi nos vies. Si suffisamment d’entre nous le faisions, nous abandonnerions alors le Pays et c’est précisément ce que nous avons fait tout au long de notre histoire récente.
C’est pourquoi la minorité a toujours pu contrôler les masses. Le fondement de ce contrôle a toujours été le même : garder les gens dans l’ignorance, dans la peur et en conflit contre eux-mêmes.
Je sais que cela semble incroyable pour certains ! Cependant, si le guinéen levait ses yeux de la dernière série télévisée ou du dernier jeu questionnaire pendant assez longtemps pour s’engager dans la voie de la réflexion et de l’analyse critique, il verrait que depuis la prise du pouvoir par Lansana Conte en 1984 qui a occasionné la chute du régime de Ahmed Sekou Touré le pouvoir n’a jamais changer de main.
Nous avons voté pour changer les hommes mais nous n’avons jamais bénéficié de ce changement. Notre condition de vie se dégrade d’année en année.
Les gens n’ont aucune idée de l’abîme que nous contemplons ni du pays que nous allons léguer à nos enfants et qu’ils devront supporter. La plupart semble s’en désintéresser complètement. Ils préfèrent ignorer l’évidence et nier une vérité qui leur éclatera au visage tôt ou tard.
Avons-nous en Guinée des institutions culturellement adaptées ???
Le problème guinéen, c’est également l’échec de cinquante années d’une voie de développement politique, économique et institutionnel sans issue. Le niveau de dénuement de nos populations, surtout de sa frange jeune ainsi que l’inadéquation de nos institutions par rapport à nos réalités historiques, sociologiques et culturelles, constituent un terreau propice à l’émergence de forces de désagrégation, de formes souveraines de régulation politique et sociale qui apparaissent hors de l’Etat, ce que Achille Mbembe appelle « sortie de l’Etat » dans son étude des frontières mouvantes du continent.
Les différences ethniques, raciales, religieuses, culturelles, au lieu d’apparaître comme diversités enrichissantes pour une communauté plurielle, sont érigées en facteurs de haine ou, à tout le moins, en frontières symboliques à l’intérieur de ladite communauté. À supposer d’ailleurs qu’il y ait des antagonismes de fait autour de ces différences, un ÉTAT viable devrait pouvoir les absorber dans le jeu institutionnel et politique à travers des confrontations pacifiques.
Ce qui, hélas, n’a pas été le cas hier au Soudan, aux Comores et en Somalie, ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui en Centrafrique et au Mali, et qui sait ce qu’il adviendra demain de la RDC, du Nigéria, de la Côte d’Ivoire et de beaucoup d’autres territoires du continent ?
Assurément, de nouvelles institutions endogènes sont nécessaires pour prendre en charge ces menaces. Il s’agira de sortir du formalisme institutionnel désuet et désincarné en vigueur, héritage colonial maintenu par pur conservatisme ou mimétisme paresseux.
Les réalités spécifiques à l’Afrique, à son histoire et à ses cultures devraient donner de la matière à une œuvre urgente de destruction créatrice, en maintenant et en enrichissant les valeurs universelles de la République et de la Démocratie. Par exemple, la laïcité au sens de la culture et de l’histoire françaises, prétendue forme immuable et imprescriptible de la plupart de nos États, est plus un dogme institutionnel qu’une réalité vivante dans nos sociétés.
À l’instar de l’Amérique, du Royaume-Uni, ou même de l’Allemagne et d’autres aires géographiques, les pays africains ont le droit d’assumer leurs croyances, diverses et plurielles, comme fondement spirituel de leur culture institutionnelle. Cela contribuerait à rendre leurs institutions légitimes et populaires, donc démocratiques.
Dans cette perspective, l’avènement de l’émergence citoyenne aiderait à réformer nos mœurs politiques car c’est la condition préalable à tout projet de transformation sociale durable. Comme dans les arts et les sports, le génie guinéen, libéré de ses carcans, saura contribuer au renouvellement d’une démocratie africaine en crise.
Ibrahim Kalil Diallo pour Journal Guinée
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