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les résultats du premier mandat du professeur Alpha Condé à la tête de l’Etat guinéen

«Guinée is back» selon Ahmed Cheikh

Un reportage du journaliste mauritanien Ahmed Cheikh, directeur de publication de Le Calame, sur les résultats du premier mandat du professeur Alpha Condé à la tête de l’Etat guinéen.

A la prise du pouvoir par l’armée, en 1984, l’endettement du Trésor, auprès du système bancaire, s’élevait à 45 milliards de francs guinéens (1,9 milliard USD, alors que 1 $US = 24 FG, à l’époque). Après vingt-six ans de fanfaronnes marches militaires, il était grimpé, en cette fin de Décembre 2010 qui voyait l’installation, enfin, d’un gouvernement civil démocratiquement élu, à 8 347 milliards de ces mêmes francs guinéens désormais formidablement dépréciés (1$US = 7000 FG !) !
Le défi qui se pose alors au président Alpha Condé paraît insurmontable. Mais, lance-t-il, «au travail ! Serrons les dents, citoyens !» Un programme de référence, approuvé par le Fonds Monétaire International (FMI), est adopté : audit et gel des marchés publics ; redéfinition et respect de leurs procédures; gestion de la dépense sur base caisse et strict plan mensualisé de trésorerie; promulgation et application effective d’une loi portant principe de l’unicité du compte du Trésor… Une nouvelle politique qui permet de réduire, spectaculairement, le déficit budgétaire, qui passe de 13 % à 2 %, en moins de deux ans. Cet effort sans équivalent est accompagné d’une politique monétaire rigoureuse qui va permettre de réduire notablement le niveau d’inflation (23% en 2010, 17% en 2011) ; tout en soutenant le taux de change du franc guinéen et en relevant le niveau des réserves.

L’élaboration d’un Code minier (voir encadré) permet de mobiliser une recette exceptionnelle équivalente à 20 % du PIB (700 millions de dollars) ; tandis que le soutien de l’Etat à l’agriculture offre, à celle-ci, une croissance sectorielle de 8 %, en 2011, contre 4 % en 2010.

Annulation de la dette

Les capitalistes internationaux retrouvent l’espoir d’investir en Guinée. Comme ailleurs, cela passe, d’abord, par l’annulation de la dette. La signature, fin février 2012, d’un programme formel d’environ 194,5 millions d’USD, approuvé par les conseils d’administration de la BM et du FMI, en met en branle le processus. Le mois suivant, le Club de Paris annule la dette guinéenne de 99,2%, puis les États-Unis annoncent 100% d’annulation des arriérés et des paiements venant à échéance de la leur. Le 26 Septembre 2012, la BM et le FMI donnent leur accord à l’éligibilité de la Guinée au titre de l’initiative des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE). En mars 2013, le DG du Fonds saoudien de développement annonce le rééchelonnement des dettes du Fonds. La croissance a plus que doublé, l’inflation réduite de moitié, le déficit budgétaire divisé par trois, les réserves de change maintenues à plus de trois mois d’importation, les recettes de douane multipliées par trois, et une stabilité monétaire sans précédent. La signature, avec la Commission européenne, d’un accord pour le 10ème FED (235 millions €) va permettre, à la Guinée, de réaliser des investissements essentiels dans les services sociaux de base et de bâtir les infrastructures routières indispensables à la circulation des personnes et des biens.

Transformer la société
Car, comme ailleurs, tous les beaux résultats macroéconomiques ne peuvent cacher la forêt : le taux de pauvreté ne s’est réduit que de 2,8 % pour se situer à 55,2 %. Fermement adossée, comme ailleurs, sur l’antique division statutaire de la société, renforcée, comme ailleurs, par une corruption quasiment institutionnalisée durant le quart de siècle de pouvoir militaire, une petite minorité quadrille, comme ailleurs, les sources de richesse et en organise, à sa guise, la répartition. Dans ces conditions, quelle portée peuvent avoir les Etats Généraux de la Justice, organisés en 2011, où l’adoption du statut particulier des magistrats ne signifie, pas encore, l’indépendance de la justice ? Du coup, la validation d’une politique nationale du genre semble, comme ailleurs, assez poudre aux yeux, tout comme l’appui financier du gouvernement à 153 groupements féminins de l’intérieur du pays, tandis que cent cinquante professionnels et auxiliaires de Justice sont formés sur le traitement des violences faites aux femmes et aux filles. Jalons pour l’avenir ?
L’établissement du Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti (SMIG) à 444 000 FG (aujourd’hui 61 USD, soit moins de 19 000 UM), la revalorisation des salaires des militaires, l’adoption du statut particulier des enseignants, de la police nationale et de la protection civile, marqueront-ils plus sûrement le quinquennat d’Alpha Condé ? Sinon, le financement, par le gouvernement, des travaux de construction du sanctuaire chrétien de Boffa (22 milliards FG) ; l’assistance, en vivres, à près de 60 000 personnes sinistrées de Conakry et de onze préfectures ou l’intervention, en faveur des travailleurs, en différents conflits sociaux ? La réforme des Forces de Défense et de Sécurité (FDS) permet, en tout cas, de diminuer les dépenses militaires ; dix brigades anti-criminalité, renforcées et bien équipées, sillonnent Conakry, tandis que s’élabore le Programme de Réformes de l’Etat et de la Modernisation de l’Administration (PREMA). Un comité national de pilotage de l’assainissement des fichiers administratifs et financiers se met en place.

Gros efforts dans les domaines de l’éducation et de la santé

Les services déconcentrés de l’éducation sont dotés de quarante véhicules neufs pour accroître la mobilité et le contrôle du système éducatif ; on construit 963 salles de classe, au Primaire, et 168, au Secondaire. 157 nouveaux professeurs viennent renforcer les écoles professionnelles ; trois nouvelles écoles doctorales sont mises en place à l’Université et à l’Institut Pasteur ; les quatre Ecoles Nationales d’Agriculture et d’Elevage se voient dotées de véhicules tout terrain et de tracteurs. 51.618 jeunes et adultes analphabètes, dont 33.723 femmes sont alphabétisés ; 5.528 jeunes déscolarisés et/ou non scolarisés, âgés de 9 à 14 ans, dont 4 844 filles, formés dans 136 centres Nafa ou « écoles de la seconde chance » ; 50 000 manuels distribués pour les apprenants des centres d’alphabétisation fonctionnelle (CAF) et 20 500, pour ceux des centres Nafa.
Dans le domaine de la santé, 23 016 personnes infectées et affectées par le Sida – pour une prévision de 38 116 séropositifs, soit un taux d’exécution de 60 % – sont mises sous traitement ARV. 11 606 cas de tuberculose – sur 12 386 ciblés (couverture à 93 %) – sont également soignés et suivis ; 8.229 villages ciblés, dans la lutte contre la cécité ; 9.885 interventions de cataracte réalisées, soit un taux d’exécution de 94 % ; 785 cas de lèpre traités (couverture à 100 %) ; 309 987 enfants de moins d’un an vaccinés au pentavalent, (couverture à 90 %) ; diverses nouvelles infrastructures de santé, comme le « Centre Mère et Enfant », à Coronthie, ou l’hôpital de « l’Amitié Sino-guinéenne » de Kipé, permettent de réduire considérablement le nombre des évacuations sanitaires à l’étranger.

Doublement, en deux ans, de la desserte en électricité

Au 31 décembre 2010, le taux de desserte de la population en électricité était de 31 %. En mai 2012, ce taux a atteint 65 %, grâce aux réalisations suivantes : réhabilitation des centrales thermiques de Tombo 3 et Tombo 5, comptant 7 groupes de 10 MW chacune ; acquisition de nouvelles centrales thermiques au diesel (50 MW à Kipé) ou au mazout, (100 MW, avec le groupe brésilien Asperbra) ; réhabilitation et extension de réseaux communaux ; réhabilitation et extension des centrales des capitales régionales ; fourniture et installation de 7 000 lampadaires solaires dans les différentes préfectures du pays ; projet hydroélectrique de Kaléta, contractualisé avec la société chinoise CWE, pour un coût (hors taxes) de 446 millions d’USD, comprenant les constructions d’un barrage, d’un évacuateur de crue, d’une usine de 240,5 MW, d’une ligne aérienne de transport de 225 KV sur une distance de 146 kilomètres, bitumage de 70 kilomètres de routes et électrification des villages environnants.

Agriculture boostée
A priori, rien ne prédispose la Guinée à ne pas vivre de son potentiel agricole. Réservoir hydraulique de toute la sous-région, elle devrait même en être le grenier. Mais, en dépit de son extraordinaire potentiel, les importations n’ont fait que progresser entre 2000 et 2010. Aussi le gouvernement a-t-il décidé de multiplier par cinq les investissements du Budget National de Développement (BND) : Subventions d’engrais, produits phytosanitaires, semences de riz et de maïs, boutures de manioc, etc. ; importation de tracteurs, motoculteurs, moissonneuses-batteuses, et autres matériels. Depuis 2011, tous les services techniques agricoles, publics et privés, sont mobilisés. Relancée en 2011, sur 4 120 ha avec 5 870 paysans, pour une récolte de 1800 t, la culture du coton est multipliée par quatre, en trois saisons, suite à l’octroi de quelque 25 milliards FG, par le gouvernement, à la Compagnie cotonnière de Guinée.
On ne saurait oublier, à côté de cette vigoureuse politique interne, l’apport substantiel de la Communauté internationale, avec, notamment dix millions USD du FIDA, neuf du West African Agriculture Productivity Program (WAAPP) et six de l’Afrique du Sud, pour booster la riziculture… Au terme de cette relance, la tendance des prix des céréales est à la baisse, la mécanisation de l’agriculture se renforce et les importations du riz chutent de près d’un tiers : 269.391 tonnes, en 2012, contre 401.244 tonnes en 2011. On n’en conclura pas que le gouvernement a réussi à contenir définitivement la crise mais les choses semblent, tout de même, avoir bougé. Le riz local est vendu autour de 4 500 FG/kg, 40% moins cher qu’en 2011. Tout comme l’importé, dont le prix oscille autour de 3 600 FG/kg (1).

Pêche : des progrès… pour l’export
La pêche et l’aquaculture ont mobilisé plus de cent milliards FG (15 millions USD) des budgets 2011 et 2012 de l’Etat. Avec des résultats en conséquence : 256 899 tonnes ont été débarqués, soit un accroissement de 144 % ; 2 988 nouveaux emplois (+66 %). La mise en œuvre du Projet d’Appui au développement Durable de la Pêche et de la pisciculture (PADUP), financé à hauteur de 1,8 millions €, par l’Union européenne et le Plan-Guinée, a permis le renforcement des capacités de 38 groupements piscicoles et de 162 coopératives de pêche artisanale ; l’aménagement de 120 étangs piscicoles dotés chacun de personnel formé ; la mise en place de système d’épargne et de crédit ; la construction de six hangars de fumage et de box de rangement d’intrants ; la réhabilitation et/ou la construction de 162 barques équipées de moteurs hors-bord, kits de navigation et de sécurité maritime. Mais, une fois encore, ces efforts ne sont guère perçus par les consommateurs guinéens. Non seulement le poisson est cher mais la qualité manque. Seules les pélagiques paraissent destinés au marché local. Le problème s’aggrave à l’intérieur du pays, où le manque d’énergie électrique, pour conserver le poisson, en rajoute à la rareté de la ressource.

Réouverture du pays
Comme ailleurs, les infrastructures de communication occupe une place importante dans la stratégie de développement retenue par le président Alpha Condé. On citera, au chapitre des voies terrestres, le réaménagement en 2×3 voies de la route Tombo-Moussoudougou ; la construction de la route 2×2 voies Matoto-Enta-Dabompa ; celles de la bretelle Enta-Sonfonia et de la transversale T5 Sud ; le renforcement de la route Boffa-Kolabouyi ; le bitumage des voiries de Conakry (27 kms), et de Faranah, Kissidougou, Dabola, Kouroussa, Siguiri, Mandiana, Kérouané et Dinguiraye (52 kms). Avec l’achat de cent nouveaux bus pour Conakry, Le seul aménagement routier de la capitale aura absorbé plus de 279 milliards FG (40 millions USD).
L’extension du Port Autonome de Conakry, projet du groupe Bolloré, d’une valeur de 500 millions d’euros ; la fondation d’un port sec de 30 ha, à Kagbélen (40 kms de Conakry), directement connecté aux réseaux routier et ferroviaire ; l’implantation d’infrastructures logistiques à proximité des industries minières et la modernisation de l’aéroport Conakry-Gbessia soulignent l’évidence : la Guinée est devenue une destination sûre pour de nombreux investisseurs, opérateurs économiques et touristes. Aussi le gouvernement s’est lancé dans de nombreux projets destinés à accroitre le parc hôtelier par la construction d’une dizaine de nouveaux centres d’accueil de haut standing.

Une diplomatie retrouvée

La Guinée, phare de l’Afrique indépendante, dans les années 60, avait totalement disparu, dans les années 80, de la scène politique internationale. Mais, dès le lendemain de l’élection démocratique du professeur Alpha Condé, les nouvelles autorités s’engagent à redynamiser la politique extérieure. « Guinée is back ! », proclame le Président. Deux guinéens se retrouvent bientôt à la tête d’organisations de la sous-région : l’Union du fleuve Mano et l’Organisation pour la Mise en Valeur du Fleuve Sénégal ; et Alpha Condé est désigné médiateur dans la crise bissau-guinéenne. La Guinée accroit, considérablement, ses relations avec les pays émergents, notamment ceux du BRICS. Le monde arabe, la Turquie, l’Indonésie et bien d’autres pays asiatiques sont également sillonnés par le garant de la diplomatie guinéenne. Des démarches analogues s’orientent vers le continent américain, avec les visites, très remarquées, du chef de l’Etat aux Etats Unis, où il rencontre Barack Obama, et au Canada où il prend au sommet du Family Office Forum. En juillet 2014, mandaté par ses pairs de la Mano River Union, le président guinéen participe au premier sommet Etats-Unis-Afrique. Il y présente, notamment, un rapport sur la fièvre Ebola, expliquant, aux investisseurs les dispositions prises par les trois pays touchés par l’épidémie.
Un tel bilan suffira-t-il à assurer la réélection du professeur à la tête du pays ? Comme ailleurs, le peuple guinéen attend des dividendes concrets, quotidiennement palpables de toute cette débauche de chiffres et de résultats. S’il entend bien que les investisseurs y trouvent leurs comptes – on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre – il n’aura guère encore vu de progrès, dans la répartition des retombées de leurs « largesses » ; au contraire, diront même certains. C’est, à tout le moins, ce que révèle la grève générale et illimitée des dockers, lancée le 4 Décembre 2014. Les manutentionnaires exigent l’annulation de la décision du DG du port de Conakry attribuant le monopole de la gestion du terminal conventionnel à la société Bolloré Africa Logistics, membre donc du même groupe dont l’Etat attend monts et merveilles, dans l’extension dudit port… Il est vrai que cinq ans, c’est un peu court pour permettre, au petit peuple, d’apprécier les fruits d’une telle entreprise concoctée en si hauts lieux… Et je ne vous parle pas des méfaits de l’alumine, après ceux de la bauxite (2)…

Ahmed Ould Cheikh
Article publié dans Le Calame 971 du mercedi 25 mars 2015

Notes
(1) : Soit autour de 185 UM/kg, pour le riz local, et 150, pour le riz importé. A mettre en vis-à-vis du SMIG respectif des deux pays.
(2) : http://www.lapresse.ca/international/afrique/200810/20/01-30944-rio-tinto-alcan-bienfait-ou-malediction-pour-la-guinee.php

Encadré
Bauxite et fer : un secteur minier, phare du développement

Le principal amendement apporté par le Code minier concerne les taxes sur la bauxite, dont la Guinée détient deux-tiers des réserves mondiales (41 milliards de tonnes). En réduisant considérablement celles-là – 4 dollars environ la tonne brute exportée, contre 11 à 13 dollars précédemment – l’Etat guinéen a boosté divers projets d’exploitation d’alumine, comme celui de Heinan Chine – deux millions de tonnes, extensible à quatre, pour une enveloppe financière de trois milliards de dollars – ou celui de China Power Investment (CPI), quatre millions de tonnes, extensible à huit, avec une enveloppe financière de six milliards de dollars – L’Assemblée nationale guinéenne a également adopté, en Juin 2014, la convention de base amendée du projet Guinea Alumina Corporation (GAC), composé de la mine de bauxite de Sangarédi, d’un terminal portuaire, destiné à des utilisateurs multiples, à Kamsar, et d’une raffinerie, pour transformer le minerai en alumine. Le projet est détenu et développé par la société Emirates Global Aluminium (EGA), le conglomérat d’aluminium des Emirats Arabes Unis, formé par Mubadala Development Company d’Abou Dhabi et Investment Corporation of Dubaï.
Des mesures analogues ont ouvert des perspectives vertigineuses dans l’exploitation et l’exportation du gisement de fer de Simandou (bloc 3 et 4), pour une production de 95 millions de tonnes et une enveloppe d’à peu près 19 milliards de dollars. Ce dernier projet – le plus grand, à l’heure actuelle, sur le continent africain – comporte également un important volet d’infrastructures : construction d’un chemin de fer transguinéen de près de huit cents kilomètres et un port en eaux profondes, dans la région de Forécariah (Guinée maritime). Il est piloté par la compagnie minière Rio Tinto, en partenariat avec Chalco (Chine), la Société Financière Internationale (SFI, groupe Banque mondiale) et la Guinée et doit démarrer la production en cette année 2015.

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