L’on dit souvent que le milieu change l’homme. Les besoins aussi. Hier porte-parole de l’opposition, aujourd’hui celui du gouvernement, le rôle qu’a joué et que continue de jouer Aboubacar Sylla, est celui de porter la voix du camp qu’il soutient. Porte-parole de l’opposition, il ne manquait pas de mots pour dénoncer la gestion politique, économique et même sociale du régime d’Alpha Condé. Passé de l’autre côté, les rôles à jouer sont restés les mêmes, mais les cibles ont changé. Bombardé ministre d’Etat, ministre des Transports et porte-parole du gouvernement, Aboubacar Sylla devra désormais vanter les actions de celui qu’il pourfendait hier et traîner dans la boue ses anciens collègues de galère à l’opposition. Mais si le porte-parole de notre gouvernement restait ou essayerait de rester cohérent dans certaines de ses déclarations, ce serait mieux.
En marge de la distribution de 50 mille gilets et couronnes de sauvetages pour les pêcheurs au port artisanal de Boulbinet, le mercredi 9 octobre 2019, Aboubacar Sylla a fait des déclarations qui ont fait frémir plus d’un Guinéen, pas seulement à cause de sa prise de position aussi radicale, mais des incohérences dans ses propos, des contradictions avec la réalité.
« Je dois dire que pendant que le président de la République, prouve à suffisance tous les jours son souci pour le bien-être et la sécurité des Guinéens, pendant qu’il pose tous les jours des actes allant dans le sens de l’amélioration de la qualité de vie des Guinéens, il y a malheureusement d’autres Guinéens qui mènent des actions qui sont aux antipodes du bonheur du peuple de Guinée. Il y a des Guinéens qui ont décidé que le lundi prochain (14 octobre 2019, ndlr), tout doit s’arrêter en République de Guinée, simplement parce qu’ils ne veulent pas que le peuple guinéen s’exprime dans le cadre d’un référendum sur l’avenir de ses institutions», a déclaré Aboubacar Sylla, devant des pécheurs artisanaux et le président Alpha Condé.
Ceux qui veulent manifester ne sont-ils pas des Guinéens ? N’ont-ils pas le droit de défendre leur point de vue ? Aboubacar Sylla a participé à combien de manifestations contre le régime d’Alpha Condé. On se rappelle encore de sa brève interpellation par le police, le 23 mai 2013, avec le doyen Pascal Tolno lors d’une des manifestations que l’opposition voulait organiser sur l’autoroute Fidel Castro. Difficile de comprendre comment il peut dénier à des Guinéens le droit de manifester leur désapprobation, surtout quand il s’agit des collègues avec qui il galérait hier.
L’une des plus incohérences, pour être un peu plus respectueux de l’homme, c’est de dire de tels propos : « Pour avoir été au cœur de l’élaboration et de l’adoption de la constitution actuelle, je peux dire sans aucun risque d’être démenti que cette constitution du 10 mai 2010 est une constitution de transition. Elle a été conçue et élaborée uniquement pour permettre aux Guinéens de passer le cap de la transition militaire. Pour preuve, les derniers titres de la Constitution ne sont consacrés qu’aux dispositions transitoires et huit articles de cette constitution ne parlent que de la transition, des articles qui n’ont plus leur raison d’être dans une constitution, puisque nous sommes sortis de cette transition. »
Du 21 décembre 2010 à maintenant, ça fait neuf ans que le régime actuel, qui est donc issu des urnes, est au pouvoir. Tous les actes que prennent le président de la République, les institutions républicaines et toute l’Administration, c’est à partir de cette Constitution de 2010. Ce qui voudrait dire qu’elle ne concernait pas uniquement la transition, sinon il serait prévu de la mise en place d’une nouvelle constitution, dès après l’installation du président de la République. Le président Alpha Condé a prêté serment deux fois sur cette constitution et a juré de la respecter et la faire respecter. Tout simplement effarant.
Selon l’ancien porte-parole de l’opposition, le Conseil national de transition qui a élaboré et adopté la Constitution n’était pas légitime : « […] D’autre part, c’est une constitution qui a été élaborée par un conseil national de la transition qui était une assemblée de transition composé des personnes coptées, qui n’avaient aucune légitimité et qui ne disposaient d’aucun mandat populaire. Donc tout le monde a accepté cette constitution pour passer le cap de la transition militaire. »
Encore une autre contradiction avec la réalité. Le CNT regroupait toutes les structures politiques, professionnelles et sociales du pays. Même les Guinéens de l’étranger avaient leurs représentants au sein du CNT. C’est pourquoi le peuple, qui peut lui donner la légitimité, l’a accepté. Et mieux, même le premier gouvernement d’Alpha Condé est passé devant ce CNT pour faire sa déclaration de politique générale, pour ce qui est du Premier ministre, et faire l’exposé de l’orientation budgétaire, pour ce qui est des ministres. De décembre 2010 à Janvier 2014, c’est quand même trois ans que le CNT légiférait. La transition c’était juste une année, monsieur Sylla.
Pour justifier davantage l’illégalité pour lui de l’actuelle Constitution, Aboubacar Sylla, évoque le statut de celui qui l’avait promulguée, le général Sékouba Konaté : « Ensuite, la Constitution a été promulguée par un chef d’Etat qui n’était même pas le président titulaire, mais intérim à l’époque. »
Le dictionnaire définit mot ‘’intérim’’ comme étant «le temps pendant lequel une fonction est remplie par un autre que le titulaire. » Cela signifie que tout acte pris par l’intérimaire, qui devait être pris par le titulaire, reste légal, donc valable.
Plus loin, le porte-parole du gouvernement définit la Constitution comme étant « ce contrat social par lequel les composantes de la société acceptent d’être régies par des règles et des principes ». Pour lui, la Constitution de 2010 n’a pas obéi à ce principe-là, et va jusqu’à dire qu’elle a été imposée aux Guinéens : « La constitution actuelle n’a fait l’objet d’aucune approbation populaire. C’est une constitution, je peux même dire, qui a été imposée aux Guinéens, puisque pendant la transition, et là aussi je suis très bien placé pour en parler, la Guinée était sous tutelle internationale. Nous avions un gouvernement de transition dirigé par un Premier ministre qui se contentait d’expédier les affaires courantes. C’étaient des attributions qu’on lui avait données pour cette transition. On avait un président de la République qui n’a jamais participé aux conseils des ministres. Nous avions un président de la CENI qui n’était pas même de la Guinée, mais venu de l’étranger pour procéder à l’organisation des élections. Bref, je ne comprends pas pourquoi des Guinéens s’accrochent à cette constitution pour dire que c’est leur constitution. »
La Guinée sous tutelle internationale ? Pendant la transition de 2010, Aboubacar Sylla était le ministre de la Communication. Avait-il été proposé à ce poste par un dirigeant étranger ? Ou bien c’est son parti l’UFC qui l’avait proposé au Premier ministre Jean Marie que le Général Sékouba Konaté avait pris soin de nommer ? ? Et c’est devant ce président par intérim qu’il se prosternait. Il participait aux conseils de ministres dirigé par ce Premier ministre chargé d’expédier les affaires courantes.
La CENI dirigée par un étranger, un Malien proposé à la Guinée par l’Organisation internationale de la Francophonie, le Général Toumany Sangaré. Oui, en effet ! Mais lors de cette présidentielle de 2010, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) a été dirigée par trois hommes. Il est important de le rappeler. C’était d’abord Ben Sékou Sylla. C’est d’ailleurs lui qui a proclamé les résultats provisoires du premier tour. Malade, à l’entre-deux tours, Ben Sékou a été hospitalisé à Paris en France. C’est de son lit de malade qu’il a appris sa condamnation par le tribunal de Dixinn, parce que le candidat venu à la 2ème place lors du premier tour n’était pas content de son score. C’est ce qui aurait, selon certains, aggravé sa maladie et il en est mort.
Il a eu ensuite Loucény Camara, qui avait été accusé par l’UFDG d’être à la base de la disparition de plusieurs procès-verbaux à Ratoma. C’est à cause de ces différents imbroglios que la Francophonie a joué au sapeur-pompier en proposant Toumany Général, car il était difficile à l’époque de trouver un Guinéen neutre pouvant conduire les destinées de la CENI. Mieux que tout, c’est cet étranger qui a proclamé Alpha Condé, le patron d’aujourd’hui d’Aboubacar Sylla, vainqueur de la présidentielle du 7 novembre 2010. Là aussi, l’argument ne tient pas la route.
La seule vérité qu’il a dite, peut-être la seule, c’est le fait de dire que les Guinéens ne sont pas dupes : « Les Guinéens ne sont pas dupes. Ils savent quels sont ceux qui agissent pour leur intérêt personnel, pour leur avenir politique personnel et ceux qui agissent pour poser des actes historiques qui vont dans le sens du bonheur du peuple de Guinée. »
Oui, les Guinéens savent qui sont ceux qui n’agissent que dans leur intérêt personnel pour leur avenir politique personnel, pour ne pas dire leur présent politique personnel. Car manger ses propres vomissures, c’est l’une des épreuves les plus dures auxquelles on peut faire face.
Alhassane Bah Journaliste