Les chrétiens d’Orient face à la terreur
Pour la première fois dans l’histoire des Nations unies, le sort des chrétiens d’Orient a été évoqué au Conseil de sécurité. C’est la France, pays qui depuis XVIe siècle offre « protection » aux chrétiens d’Orient, qui en a fait la demande. L’initiative est très symbolique tant la situation des chrétiens d’Orient est dramatique. Mais l’enjeu en vaut plus que jamais la peine pour que cette communauté plurimillénaire continue d’exister.
C’est une première dans l’histoire de l’ONU : une « charte d’action » pour protéger les chrétiens d’Orient et les autres minorités « qui sont en train d’être éradiqués » a été évoquée devant le Conseil de sécurité. Le projet a été défendu par le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, vendredi 27 mars. L’objectif affiché du ministre est de plancher sur un texte mettant un point final à la dynamique de disparition des minorités. Un document que Ban Ki-moon, secrétaire général de l’ONU, serait chargé d’élaborer par la suite. « L’initiative française à l’ONU est un signe positif, puisque jamais auparavant il n’y avait eu de réunion du Conseil de sécurité sur la question des chrétiens, confie Mgr Pascal Gollnisch, directeur général de L’Œuvre d’Orient. Même s’il n’y a pas résolution, ça sera toujours une force d’entraînement, une force symbolique. »
Un projet avec quatre priorités
Le plan d’action proposé par Laurent Fabius, la France présidant l’instance onusienne en mars, s’articule autour de quatre principaux points : un volet humanitaire qui permettrait le retour des déplacés, un volet sécuritaire offrant aux déplacés la possibilité de retourner chez eux sains et saufs bien que la coalition poursuive ses frappes. « A mesure que Daech recule, a affirmé le ministre, nous devons permettre le retour des minorités. […] Cela implique que les troupes aujourd’hui mobilisées au sol assurent la sécurisation de ce retour ».
Sur le plan politique, troisième priorité affichée par la France, la nécessité pour les Etats (Syrie et Irak) d’assurer une place suffisante à leurs minorités via la mise en place d’un réel Etat de droit. Enfin, Paris entend lutter contre l’impunité et souhaite que le Conseil de sécurité saisisse la CPI, compétente pour les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, pour les crimes commis contre les minorités par, entre autres, le mouvement Etat islamique. Parce que les mouvements jihadistes n’ont de cesse de grimper en puissance face à des régimes qui flanchent et font craindre ainsi le pire. « On voit bien que les frappes aériennes n’ont pas été suffisantes jusqu’à maintenant pour provoquer un recul de Daech, même si elles l’ont stoppé dans son avance », témoigne Pascal Gollnisch.Car c’est en Syrie et en Irak bien entendu que la minorité des chrétiens d’Orient est la plus en danger. En Irak, tout le monde est à peu près d’accord sur la nécessité de neutraliser Daech. « Il faut cependant que l’actuel gouvernement irakien ne se situe pas dans une perspective de revanche contre les sunnites mais construise une véritable unité nationale », poursuit Mgr Gollnisch.
En revanche, en Syrie, « nous sommes dans une guerre civile qui est totalement dans l’impasse,analyse le directeur de l’Œuvre d’Orient. Les diplomaties, qu’elles soient occidentales, russe ou iranienne, ne permettent pas d’arriver à une solution sur le terrain, et donc cette guerre risque de continuer encore plusieurs années avec encore des milliers de morts supplémentaires si aucune initiative forte n’est prise. Par conséquent, ce qu’il faut, c’est une grosse initiative diplomatique afin de remettre à plat le développement de Daech en Syrie ».
Daech, l’ennemi numéro un des minorités
Car Daech sème la terreur partout où il passe. Et les minorités - chrétienne, mais aussi yézidie etc. - sont la première cible de la barbarie des jihadistes. Avant la guerre qui a mis à feu et à sang la Syrie, quelque 2 millions de chrétiens (10% de la population), dont 30 000 assyriens, vivaient relativement en sécurité sous Bachar el-Assad, qui prenait soin de « protéger » ses minorités pour mieux les contrôler. Depuis quatre ans maintenant, près de 40% d’entre eux ont quitté le pays, vers l’Occident ou vers des pays limitrophes (Liban, Jordanie, Turquie). Rien qu’en février dernier, plus de 220 chrétiens assyriens ont ainsi été enlevés en Syrie, provoquant l’exode de près de 1 000 familles, soit quelque 5 000 personnes.
Il en va de même en Irak où la présence des chrétiens se réduit comme une peau de chagrin : ils étaient environ 1,4 million en 1987, avant la première guerre du Golfe. Vingt-cinq ans plus tard, il en reste environ 400 000. Aujourd’hui, plus de 800 000 d’entre eux ont fui leur pays et plus d’un millier a été tué. Paris a déclaré le 21 mars dernier avoir accordé 1 500 visas d’asile à des chrétiens d’Orient depuis juillet 2014. Une annonce qui semble une goutte d’eau tant l’ampleur de la catastrophe est énorme.
Quant à la minorité Yézidie, selon une enquête des Nations unies publiée mi-mars, les attaques des jihadistes contre la communauté pourraient là aussi constituer un génocide. Et les précédents existent malheureusement. En Turquie, même si la raison était plus nationaliste que religieuse, le génocide arménien (environ 1,5 million de morts) a fait disparaître une grande partie des chrétiens dans le pays. Il en est allé de même lors dugénocide assyrien, en 1915, qui a fait plusieurs centaines de milliers de morts. Pour Laurent Fabius, ce qui se passe actuellement en Syrie et en Irak n’est rien d’autre qu’une « entreprise barbare d’éradication ethnique et religieuse ». L’histoire des chrétiens d’Orient date en effet de plus de 2 000 ans… Une histoire dans laquelle la France a toujours eu un rôle majeur.
La France, « protectrice » des chrétiens d’Orient depuis François 1er
Dans le monde, les chrétiens dits « d’Orient », principalement des catholiques et des orthodoxes, sont environ 200 millions. Le chef de la diplomatie française l’a répété, la France « protectrice des chrétiens d’Orient, est une tradition constitutive de notre histoire, de notre identité même, mais aussi de celles du Moyen-Orient ». Et Laurent Fabius de réclamer que l’Hexagone demeure fidèle à cette tradition.
C’est en 1536, en effet, que François Ier et Soliman le Magnifique scellent une alliance contre Charles Quint, un « pacte » considéré comme première alliance diplomatique non idéologique entre un empire chrétien et un empire musulman. La France s’engage dès lors à protéger les chrétiens d’Orient et plus particulièrement ceux du Mont-Liban et des Lieux saints. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, les écoles catholiques sont ainsi très nombreuses sur tout le territoire de l’empire Ottoman.
Aujourd’hui, de nombreux conflits au Proche-Orient font craindre la disparition totale de ces chrétiens d’Orient. Et les appels lancés à la communauté internationale ont souvent été vains, au grand dam des défenseurs des minorités, « un tort de la communauté internationale », estime Pascal Gollnisch qui explique ce silence par la convergence de plusieurs facteurs. « Pour les uns, analyse-t-il, c’est une sorte de laïcisme qui ne fait pas prendre en compte ces communautés chrétiennes, pour les autres, c’est la peur de froisser un certain islam. Pour d’autres encore qui ignorent tout de la religion, c’est s’imaginer que de parler des chrétiens c’est parler des alliés, des Occidentaux, ce qui n’est pas le cas. C’est oublier que les chrétiens d’Orient sont des citoyens souvent persécutés de ces pays-là. »
En effet, à côté des conflits qui ensanglantent le Proche-Orient et qui fauchent une grande partie des chrétiens d’Orient, de nombreuses discriminations perdurent envers les minorités religieuses de nombreux Etats de la région et sont parfois bien loin de jouir des droits de citoyens à part entière. La mention de la religion figure sur la carte d’identité dans de nombreux pays et l’interdiction de lieux de cultes est tout simplement en vigueur dans certains pays notamment en Arabie saoudite.
Avec l’initiative française à l’ONU, il n’est en tout cas plus possible d’ignorer « l’entreprise de purification ethnique et culturelle » qui se joue contre les chrétiens d’Orient en Irak et en Syrie.