Pourquoi le mariage de deux musulmans a-t-il été suspendu à Nice ?
Le Monde.fr
Le parquet de Nice, saisi par la municipalité, a suspendu par décision de justice la célébration d’un mariage civil qui devait se tenir lundi 23 mars entre une femme de 21 ans et un homme de 27 ans, tous deux de confession musulmane. Le maire UMP de la ville des Alpes-Maritimes, Christian Estrosi, dit avoir eu un « doute légitime sur la sincérité de l’union à célébrer ».
Quels motifs une mairie peut-elle invoquer pour demander la suspension d’une union ?
Les maires de France ont la possibilité de surseoir à une union dans certains cas. En l’occurrence, la mairie s’appuie sur l’article 175-2 du code civil. Selon ce texte :« Lorsqu’il existe des indices sérieux laissant présumer (…) que le mariage envisagé est susceptible d’être annulé (…), l’officier de l’état civil peut saisir sans délai le procureur de la République. Il en informe les intéressés ».
Me Laurence Mayer, spécialiste en droit des familles, détaille :
« Selon cet article, une suspension peut-être prononcée lorsque le mariage est susceptible d’être annulé en raison d’un manque de consentement de l’une des deux parties. Mais il peutégalement être utilisé lorsque la sincérité du mariage est mise en doute, par exemple lorsqu’il y a un soupçon de faux mariage, ou de mariage blanc ».
A Nice, Christian Estrosi a saisi le parquet pour l’informer de sa volonté de suspendre l’union émettant des « doutes sur la sincérité », sans toutefois évoquer la question du consentement.
Lundi, le procureur a répondu favorablement à la demande de l’édile, en mettant le mariage en sursis et en procédant à une enquête. Cette investigation doit en somme permettre de vérifier la « réelle intention matrimoniale » des futurs époux,« c’est-à-dire leur volonté de vivre en couple, de fonder un foyer… etc », précise Me Mayer.
Lire : La mairie de Nice s’est opposée au mariage civil d’un couple musulman
Quels « indices » mettent en doute cette union selon la mairie ?
Le « doute sur la sincérité » de l’union a été mis en avant pour l’invocation de cet article 175-2. Christian Estrosi évoque des soupçons de radicalisme pour motiver cette suspension. L’adjoint de territoire délégué à l’Etat civil, Auguste Vérola, détaillait mardi sur France Bleu : « Il y avait des soupçons de djihadisme. On pense que l’un ou l’autre des époux souhaite partir faire le djihad à l’étranger, en Syrie ou ailleurs ».
La mairie de Nice met en avant deux éléments :
- Le jeune homme avait été condamné le 21 janvier 2015 par le tribunal correctionnel de Nice à six mois de prison avec sursis pour l’agression d’un boulanger qu’il accusait de pas être un « bon musulman », ce dernier vendant du porc dans son commerce. Il avait agi avec deux autres hommes et faisait l’objet d’une fiche d’individu à surveiller à la Direction générale de la sécurité intérieure, susceptible d’être candidat au djihad.
- La cellule locale « de lutte, d’écoute et d’action contre les dérives fondamentalistes », mise en place par la ville en octobre 2014, avait, ces derniers mois, constaté que la jeune femme était « impliquée dans un phénomène de radicalisation ».
Toutefois, de tels arguments n’avaient jamais été utilisés pour un sursis, dont les contours d’application restent relativement flous. Selon Me Laurence Mayer, avocate spécialisée, « les faits justifient ce sursis, il faut vérifier que l’institution matrimoniale ne soit pas détournée à d’autres fins que l’union. Le procureur, qui aurait pu s’y opposer, a lui-même accepté le sursis».
Quelle est la suite de la procédure ?
D’après l‘article 175-2, « la durée du sursis décidé par le procureur de la République ne peut excéder un mois renouvelable une fois par décision spécialement motivée », l’enquête de la justice devra donc être menée dans ces délais. Le couple peut contester ce sursis devant le tribunal de grande instance. A l’issue de l’investigation, le procureur doit faire savoir s’il s’oppose ou non à la célébration du mariage.
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