Quand les Africaines utilisent leur nudité comme arme politique
Nigeria, Mali, Liberia, Kenya, Côte d’Ivoire, Afrique du Sud… depuis près d’un siècle, on observe un peu partout sur le continent des manifestations de femmes dénudées. Un geste qui ne se veut pas libertaire mais désespéré : l’image de ces mères et de ces filles dans leur plus simple appareil suffit parfois à désarmer les autorités.
Elles sont des milliers de femmes à marcher dans les rues d’Abeokuta, la capitale de l’Etat d’Ogun, au sud-ouest du Nigeria. L’Union des femmes d’Abeokuta, poitrines nues, dénonce ainsi fermement un nouveau projet de taxe coloniale. Les forces de sécurité, désemparées face à cette nudité, ne sauront pas quoi faire. C’était en 1930 et c’est là le plus ancien témoignage documenté de manifestation d’Africaines nues. Le début d’une longue révolte des femmes nigérianes contre la couronne d’Angleterre.
Cette manière de protester s’est répandue partout en Afrique, notamment dans les pays lusophones et anglophones. On en a beaucoup parlé au Kenya, où le mouvement desGrands-mères du coin pour la paix s’est dressé, seins nus, pour faire tomber la politique foncière du début des années 2000. En 2008 encore, des Libériennes réfugiées au Ghana, se déshabillent à Accra pour dénoncer un projet d’expulsion vers leur pays d’origine.
Cette pratique a été relativement peu étudiée et est longtemps restée un acte spectaculaire et relativement isolé. A tel point que beaucoup d’observateurs se demandent parfois s’il ne s’agit pas d’un mythe. L’historien Bukola Adeyemi Oyeniyi, après s’être penché sur la place des femmes dans les protestations au Nigeria, note que « sans aucun doute, les manifestations nues ont une longue histoire en Afrique » et que « leur résurgence au XXIème siècle appelle à un réexamen de cet outil peu conventionnel ».
La nudité, désespoir plutôt que liberté
Contrairement à d’autres mouvements, en Europe, comme les Femen qui ont fait couler beaucoup d’encre dans les médias, ces Africaines ne brandissent pas leur nudité comme un geste de liberté. Se déshabiller ainsi, c’est avouer ne plus avoir aucun autre recours possible et n’avoir comme seule solution de mettre dans la balance ce qu’il y a de plus sacré pour beaucoup de cultures africaines : les corps des mères et des filles.
« Les protestations nues résultent d’une croyance générale que le corps des femmes, en particulier celui des femmes âgées, des jeunes et des moins jeunes mères, doit être révéré,explique Bukola Adeyemi Oyeniyi. Ainsi, c’est un tabou pour une femme, d’autant plus si elle est mariée ou si elle est âgée, de choisir de se dévêtir en public en réponse à une situation sociale ou politique. »
Il reste globalement compliqué, pour les communautés concernées, de revendiquer cette action. Le geste, tout aussi efficace qu’il soit, reste porteur d’une honte que seul le désespoir peut justifier. Pourtant, des groupes politiques commencent à envisager ces pratiques comme un moyen d’action. En Afrique du Sud, ce type de manifestation, baptisée setshwetla (manifestation nue), a une longue tradition d’activisme et de dénonciation des arrestations politiques. En 2009, au Nigeria, des femmes manifestent pour réclamer un nouveau vote dans l’Etat d’Ekiti. Seize d’entre elles sont à moitié nues, dont Ronke Okusanya, activiste et présidente du Mouvement des femmes d’Ekiti pour la paix.
Poitrines brandies en Afrique francophone
Les pays d’Afrique francophone ne sont pourtant pas en reste dans ce domaine. Très récemment, en novembre 2014, ce sont des centaines de Centrafricaines qui ont défilé pour dénoncer les violences sectaires… seins nus. Dans son ouvrage sur l’histoire des Femmes africaines, l’historienne Catherine Coquery Vidrovitch avait déjà identifié en 1952 le cas d’Ivoiriennes mobilisées dans les villages, nues, pour lutter contre la répression coloniale.
Là aussi, l’action se veut un sensible mélange de désespoir et d’activisme politique. La politiste Johanna Siméant rapporte ainsi à propos d’une manifestation de femmes nues au Mali, en 2012, juste avant la chute d’Amadou Toumani Touré : « Cette marche des femmes, pratique supposée marquer le caractère de gravité d’une situation, est d’autant plus vécue comme un moment clef que là encore une rumeur a circulé auparavant : les manifestantes allaient marcher nues sur Koulouba. Dans une société où retenue et vergogne imprègnent les normes de comportement, la malédiction de la femme outragée qui s’expose nue face à son débiteur tout en le maudissant renvoie là encore à la possibilité d’un scandale qui couvrirait de honte les destinataires de la protestation. »
Ces manifestations, pacifiques, ont souvent laissé les autorités désappointées. Les récits les plus enthousiastes évoquent des policiers fuyant en se cachant les yeux. En général, les femmes finissent par rentrer chez elles, comme les autres manifestants qui les accompagnent. Régulièrement, des procès pour exhibition ou atteinte à la pudeur sont intentés. On ne trouve pourtant guère trace de jugements et ce qui reste après la majorité de ces actions est, en général, le symbole d’un courage pudique et déterminé.
RFI